En attendant Nadeau

Créés en par Marie-Agnès Chavent-Morel, Valérie Chataing et Christian Comard, les Ateliers de l’Arabesque sont caractéristiques de ces lieux qui, dans différentes villes de France, permettent à l’écriture de se développer envers et contre tout. Basés à Sainte-Foy-lès-Lyon, les Ateliers de l’Arabesque mènent leur action dans toute la région lyonnaise où ils complètent le réseau des librairies, des bibliothèques municipales et des associations (Le Caveau des 1994 Lettres, Printemps des Poètes).

Propos recueillis par Marie-Pierre Stevant-Lautier pour la revue En Attendant Nadeau

Pourriez-vous définir la spécificité de vos ateliers d’écriture ?
Marie-Agnès Chavent-Morel : C’est un cheminement. Au départ, l’écriture peut être enfouie. Et puis, elle s’aventure peu à peu, on est amené à débroussailler, qui que l’on soit. Pas besoin de diplômes.

Que viennent chercher les personnes qui tentent l’aventure ?
Christian Comard : Les personnes expriment toutes une recherche. Elles osent quelque chose d’inconnu, de l’ordre d’une intuition. Elles recherchent un cadre, tenu par l’animateur ou l’animatrice ?

Marie-Agnès Chavent-Morel : Une des forces de nos ateliers, c’est l’engagement de chacun. Un profond respect. On engage sa parole, on écoute celle des autres. Cela nous étonne toujours

Qui sont les personnes qui écrivent dans vos ateliers ?
Marie-Agnès Chavent-Morel : Nous avons cinquante adhérents. Nous accueillons toute personne, quel que soit son prétendu niveau scolaire. L’éventail est riche : du contrôleur des impôts au projectionniste, du médecin à l’enseignant, du chercheur d’emploi au garagiste, des artistes aussi, des peintres, un sculpteur, une comédienne.

Sur quel point se rejoignent-ils ?
Marie-Agnès Chavent-Morel : Sur l’immersion totale dans les mots. Stimulation, friction, échanges.
Christian Comard : Dans l’ouverture aux autres, l’écoute, la pépite à sauver, le matériau. Les participants sont sensibles au respect de chaque écriture, aux retours qui mettent en avant l’exigence de servir le texte.

L’atelier est donc une histoire de risque ?
Marie-Agnès Chavent-Morel : Oui, le mot « risque » est essentiel. Quel plongeon que d’entendre sa propre voix en écriture, sa juste voix, une fois débarrassée des scories, une fois le lâcher-prise accepté ! Risquer ses mots, ceux que l’on écrit et aussi ceux que l’on ose sur le texte des autres.

Comment l’atelier s’est-il enrichi depuis sa création ?
Marie-Agnès Chavent-Morel : Par l’apport d’autres arts, de stages en lien avec le land art, la peinture, le yoga… Des liens avec les libraires de quartier, avec des éditeurs qui risquent des auteurs, qui les soutiennent, l’Ail des Ours, les éditions Henry, les revues… l’échange avec d’autres animateurs d’ateliers, l’apport de François Bon.

Pouvez-vous parler des propositions ?
Marie-Agnès Chavent-Morel: Elles évoluent en fonction du chemin parcouru, avec l’exigence à chaque fois de creuser. Travailler encore et encore la langue. Trouver le rythme, la musicalité propres à chacun

Et ces notions rejoignent l’écriture poétique ?
Marie-Agnès Chavent-Morel : Observer, noter des images, des sensations, engranger des couleurs, oui, cela a tout à voir avec la poésie que chacun porte en soi. La voix, le blanc, le silence, l’écoute. Cela compte bien sûr dans la poésie comme dans la prose : pensons à une auteure comme Laura Vazquez. L’oral est essentiel, la lecture à haute voix des auteurs et des écrivants. Les Ateliers de l’Arabesque ont créé une compagnie de lecture-spectacle, Les Viveurs Lunaires, qui portent la poésie à tous les publics lors du Printemps des Poètes. Même si certains saisissements ne peuvent jaillir que dans le poème, la prose est présente aussi. La poésie peut tout.

Du style, du style !
Inspirez-vous de nos thèmes d’écriture.
Inscrivez-vous à nos ateliers, ou au stage d’été.
Renseignez-vous auprès de notre équipe.

Stage d’été

Qu’est-ce qu’un stage d’été ?

Une RENCONTRE
avec soi-même via l’écriture, avec d’autres via leur écriture, avec la littérature.

Une ECOUTE
à l’écoute de sa propre voix, de sa juste voix, à l’écoute des voix des autres.

Un TEMPS
pour une avancée,
soit une randonnée de 5 jours,
soit une étape de 1 jour, de 2 jours, 3 jours, 4 jours

Un LIEU
une maison, un jardin où chacun peut trouver son “nid” pour écrire.

Des TERRITOIRES
de langue la pâte des mots, leur matière, leur rythme, leur musique.

Une EXPLORATION
de 15h00 à 19h00, chaque jour en atelier.
Un approfondissement personnel et personnalisé. L’animatrice se tient à disposition de chacun pour un re-travail individuel sur les textes de la veille.
Nombre de participants : jusqu’à 9.

Différentes formules :
• 6 places en résidence.
• A la journée, avec possibilité de repas le soir, pour celles et ceux qui participent par étapes.

Prochain stage d’été. Renseignement et inscription

« Je ne suis qu’un mot, un verbe, une profondeur » Blaise Cendrars

Vous souvenez-vous des bonnes résolutions d’enfance ? Cet exercice délicat fait entre soi et soi, soi et son entourage, pour améliorer quelque chose du quotidien. Sans doute qu’en début d’année il y a un enthousiasme lié au commencement d’une nouvelle période. Alors, profitons-en !

Êtres de relations, de liens, de projets, de rencontres, plus encore qu’auparavant, nous avons besoin de perspectives pour partager la complexité du monde.

Si la culture nous permet de donner du sens au monde et à la vie, la littérature en est peut-être un des accès privilégiés.
Elle n’est pas à part, elle fait partie de la vie Ecrire, réécrire, lire et relire, comme pour exister mieux, tant et plus.

Tous les stages

2025 « La rencontre »

2024 « L’écriture carnet »

2023 « De la démarche du photographe à celle de l’écrivain, quelles correspondances ? »

2022 « On écrit toujours avec de soi »

2021 « Élargir son propre champ d’écriture »

2020 « Une langue percutante ? »

2019 « Nouvelle : les bases de sa construction »

2018 « Voix d’écriture… Quelle est ma voix ? »

2017 « De Lieu(x) en lieu(x) »

2016 « Le rêve : de l’illusion à la réalité »

2015 « Le temps »

2014 « Le détour »

2013 « Le silence… l’écrire »

2012 « Face à une œuvre d’art, tenter l’écriture »

2011 « Récits de vie »

2010 « Carnet(s) de voyage »

2009 « Écrire une nouvelle »

2008 « Trace(s) »

2007 « L’ailleurs »

2006 « Écrire en écho »

2005 « Écrire la mer »

2004 « Traversée(s) »

2003 « Pérégrination(s) »

2002 « La nouvelle »

2001 « Récit complet »

2000 « Le fleuve »

1999 « Le train »

« Don de la vie »

Martine RIVOIRE
Porter ses pas vers l’esprit libre.
Libre de sentir.
Respirer le paysage.
Être sur un chemin de terre qui craque sous mes pas lourds.
Suivre le sentier dans le sous-bois de buis.
L’épaule frôle le feuillage.
Un oiseau s’envole.
Écouter les bruits.
L’oiseau, la berceuse des feuilles dans le vent.
Écouter, apprécier le silence.
Ne penser à rien.
Je respire le parfum des aubépines.
Je goûte l’arôme sucré des mûres.
Mon corps s’abandonne.
Apprécier l’émanation de la terre mêlée à la mousse, aux bois des arbres.
Ne songer qu’à soi.
Humer ce bouquet de vie.
Rester.
Rester là.
Savourer.
Prendre le temps de sucer la tige d’une fleur.
Plonger dans un paradis perdu.
Se noyer dans les essences des bouleaux, des chênes verts, des charmes, des noisetiers, des hautes fleurs sauvages.
S’enivrer.
Rester là, devant un arbre déraciné.
Le caresser.
Lui parler.
Sentir la rugosité de son écorce.
De la pousse qui se dérobe de son tronc.
Dévorer des yeux un monde microscopique, les fourmis, les cloportes, les milles pattes.
Ne pas piétiner.
Préserver le trésor dans son écrin.
Le vert des feuilles, l’ocre de la terre, l’anis des jeunes pousses, le rouge des baies sauvages, le mauve des chardons ardents, le bleu du ciel.
En prendre plein les yeux.
Et ce rayon de soleil qui traverse la feuille pour lui donner bonne mine.
Panachage de verdure.
Couleurs chaudes des tournesols en contre bas dans la vallée.
Les verts chatoyants des arbres dans cette mosaïque de couleur.
Correspondances des complémentaires.
Équilibre.
Douceur de vivre.

Éditos

Janvier 2025,

« Je ne suis qu’un mot, un verbe, une profondeur »
Blaise Cendrars.

Vous souvenez-vous des bonnes résolutions d’enfance ? Cet exercice délicat fait entre soi et soi, soi et son entourage, pour améliorer quelque chose du quotidien. Sans doute qu’en début d’année il y a un enthousiasme lié au commencement d’une nouvelle période. Alors, profitons-en !

Êtres de relations, de liens, de projets, de rencontres, plus encore qu’auparavant, nous avons besoin de perspectives pour partager la complexité du monde.

Si la culture nous permet de donner du sens au monde et à la vie, la littérature en est peut-être un des accès privilégiés.

Elle n’est pas à part, elle fait partie de la vie Ecrire, réécrire, lire et relire, comme pour exister mieux, tant et plus.

Kafka, dans son Journal, écrit, « Chaque jour au moins une ligne doit me viser comme on vise les comètes avec le télescope ».

Et si viser pouvait se métamorphoser en saisir. Dans le mouvement du monde, c’est ce que nous nous souhaitons, nous vous souhaitons pour 2025 et plus si affinités.

Christian Comard

Janvier 2024 : Je ne suis qu’un mot, un verbe, une profondeur…

Juin 2022 : En attendant Nadeau

Mars 2021 : Écrire, c’est quoi ?

Boîte à idées…

C’est avec bonheur que nous lirons ici vos propositions, vos envies, vos appréciations, vos critiques.
Nous répondrons.

Avril 2021

En avril suivons le fil…
Le fil de nos pensées nous guide jusqu’au coffre où dorment les mots qui attendent d’être encrés dans la vraie vie. Écrivons !

Envie d’écrire ? Contactez-nous.
Un atelier vous intéresse ? Inscrivez-vous.

Le fil de l’eau nous emporte. Allons plus loin !

Le fil de nos lectures… nous conduira jusqu’à la « Bibliothèque », nouvelle rubrique sur le site de l’Arabesque. Une page confortable avec plein de textes faciles à attraper sur les rayonnages…
Au fil des ans, des textes nés en atelier, en stage, ou des textes personnels…
Lisez-les. Commentez-les.

Nouvelles idées, nouvelles formules, ouvrons les bras et déployons nos ailes pour nous toucher à distance.
Échangeons nos idées en attendant de pouvoir échanger nos crayons. Il faut se mettre debout pour voir plus loin… !
Avez-vous des souhaits, des idées ? Dites-nous…

« Philip Morris Philtre »

Chouski MARICHAL

La journée se termine, Claire se détend.

Elle aime la vie qu’elle mène, qui ne l’oblige pas à planifier tout de suite son avenir. Elle se sent utile, elle se sent adulte, en prise avec le présent. Elle s’assied sur son lit et se cale contre les oreillers, allume une cigarette.

Elle pousse un petit soupir en laissant glisser son regard, comme par habitude, sur les photos au pied de son lit. Au travers des volutes de fumée, les visages semblent bouger, les expressions changent. Elle ferme les yeux à demi, par jeu, et se laisse prendre au mirage du visage de sa mère qui la regarde et semble prête à parler, on dirait que des mots se forment sur ses lèvres. Eugène, lui, reste immobile dans son cadre, en déguisement de soldat, il regarde vers la fenêtre, ne sourit pas.

Claire laisse ses yeux se fermer. Un peu de lassitude. Elle sait. Elle sait ce que sa mère veut lui dire :

« Quand vas-tu épouser Eugène ? »

Sa mère jette un regard vers Eugène, comme pour voir s’il a entendu. Mais Eugène est toujours immobile, il regarde dehors, ce qui lui est d’autant plus facile que le mur s’est effacé, une grande porte fenêtre s’ouvre vers l’extérieur, donne sur la place. Tout en pensant qu’elle n’avait jamais remarqué que la fenêtre pouvait s’ouvrir si grande et tout en trouvant que c’était bien agréable, Claire répondit :

— Maman, je ne veux pas épouser une photo.

Claire regarde Eugène qui, en plus d’être immobile, devient flou puis se dédouble. Elle se sent un peu gênée de se trouver seule dans sa chambre en présence de ces deux hommes, d’autant qu’elle s’était dévêtue pour être à l’aise. Elle leur dit poliment :

— S’il vous plaît, messieurs, puis-je vous demander de sortir de ma vie.

Les deux jeunes soldats, d’un même mouvement, se lèvent et se dirigent vers la rue. Claire s’aperçoit qu’elle n’est en fait pas sur son lit, mais sur le parking, debout à côté de la fourgonnette-ambulance. La place est pleine de soldats, en uniforme.

Un frisson glacé court le long de ses vertèbres, parce qu’ils se ressemblent tous. Petits ou grands, blonds ou brun, minces ou trapus, ils ressemblent terriblement à Eugène. Elle l’aime bien, mais quand même…

— Trop d’Eugène tue le gène, dit-elle à Sandra, sa collègue qui fume à côté d’elle.

— Toi qui voulais des enfants, lui répond la fille avant d’embrasser un des soldats.

Claire voit les soldats se ranger en file devant elle. Ils sont des dizaines. Elle comprend qu’ils font la queue pour monter dans son ambulance. Un par un, les soldats passent devant elle. Avant de monter, chacun lui fait un compliment et lui donne une rose rouge.

— Vous êtes belle mademoiselle.

Une rose.

— Vous avez de beaux yeux.

Une deuxième rose.

— Vous avez de beaux cheveux

— Vous avez des belles pommettes

— Comme vous avez de belles dents.

— Comme vous avez une belle bouche, on en mangerait.

Celui qui dit ça a les dents un peu pointues.

Il ajoute :

— J’aime votre cou.

Les roses forment un bouquet dont elle ne sait que faire, qu’elle tient au creux du bras et dont elle sent les épines. Les fleurs veloutées sont belles mais totalement inodores. Elle ne s’en étonne qu’à peine.

— J’aime vos épaules.

— J’adore le lobe de votre oreille droite.

Claire se sent détaillée, vendue au détail.

— Quelles jambes !

— Vous avez des seins magnifiques.

Claire jette brusquement le bouquet qui s’éparpille, les fleurs sont piétinées et se fanent instantanément.

— Ça suffit ! hurle-t-elle.

Elle voit tous ces jeunes hommes de l’âge de son petit frère lui aussi soldat et réalise qu’ils ne la voient pas vraiment, ils ne voient que la femme, la sœur, l’amante, la mère, qui leur manque en ces années de guerre et de promiscuité virile. Elle se retourne vers l’ambulance. Surprise elle voit une voiture de mariage, carrosse moderne, c’est la couleur blanche qui l’a trompée.

— L’amour, la mort, la couleur, la douleur… Même combat, murmure-t-elle.

Sa mère est au volant, prête à démarrer, et lui dit :

— Tu dois épouser l’un d’eux, sinon, comment veux-tu que la guerre finisse ? Dépêche-toi, lequel choisis-tu ? On rentre à la maison.

— Mais, Maman, c’est tous les mêmes ! Comment choisir ?!

— Comment ça, tous les mêmes ? Que veux-tu dire ?

Claire regarde autour d’elle, et constate qu’ils ne se ressemblent pas tant que ça, finalement. Ils ont l’air un peu déboussolés, abandonnés. Claire ressent un petit élan de tendresse envers toute cette belle jeunesse. Mais de là à se marier. Sur le siège passager du grand véhicule blanc, Claire aperçoit sa valise et elle se sent prête, prête à partir. À côté du sac, une cartouche de cigarettes.

— Philip Morris filtres, lit-elle à haute voix sur la boîte cartonnée.

L’envie d’en griller une lui monte dans la gorge, mais elle craint de fumer en présence des soldats.

— Philip Morris filtres. Ce sont des philtres d’amour, et je ne peux pas prendre le risque qu’ils tombent tous amoureux.

Un soldat s’approche, un peu plus âgé que les autres. Ses traits sont fins, très nets, son visage est bien dessiné. Elle se raidit, redoutant le compliment. Son cœur palpite. Mais il garde le silence en tendant sa rose rouge. Elle la prend, mais ce n’est pas une rose, plus exactement la rose se transforme en croix du même rouge vif. La croix grandit entre ses mains et se transforme en une sorte de tampon de caoutchouc avec lequel elle imprime sur le carrosse des croix rouge sang. Le carrosse se retransforme en ambulance et le cœur de Claire s’apaise. Le beau soldat lui tend une cartouche de fusil, comme un tribut, comme un hommage. Ils se font face, yeux dans les yeux.

Claire tourne et retourne et retourne la cartouche dans ses doigts, et s’aperçoit que c’est en fait un fume-cigarette.

— C’est pour ça qu’on dit une cartouche de cigarette, lui dit sa mère en descendant de voiture et en lui tendant la boîte de Philip Morris filtre.

Claire prend la boîte et la trouve bien légère. Elle l’ouvre, il n’y a qu’une seule cigarette à l’intérieur, et le filtre est en effet un philtre d’amour. Comment le sait-elle, elle n’en avait jamais vu ? Elle le sait c’est tout. Elle décide d’allumer cette cigarette. Elle anticipe les conséquences de son acte et les assume. Claire sait qu’au moment où elle allumera cette cigarette, son destin sera lié à celui du beau lieutenant qui s’est maintenant assis au volant. Sa mère la regarde intensément. Claire est sereine, le sable est chaud sous ses pieds, elle ne porte plus sa blouse, mais une légère robe fleurie.

Le lieutenant sourit, Eugène s’en vont.

Claire, confiante, allume sa cigarette. L’impression de griller sa dernière cartouche. Elle se brûle.

— Claire ! Claire, appelle sa mère en la secouant. ….

Claire se réveille, la cendre de sa cigarette est tombée sur sa main. Elle s’est assoupie quelques instants.

Sa logeuse la secoue.

— Claire ! Un télégramme pour vous. Et ne fumez pas au lit, vous allez me faire un trou dans l’édredon. Claire se redresse et prend le télégramme. Le caresse avec les deux doigts qui tiennent la cigarette encore allumée. C’est peut-être son lieutenant.

« Rêveuse »

Marie-Pierre STEVANT-LAUTIER

Avec les rêves, on peut se surprendre.

 Nuits opaques. Pas de souvenirs de rêves la plupart du temps. Un aplat dont j’ignore la couleur. Bleu- nuit peut-être. Souvent, les rêves ont pour moi la douceur d’une couverture, ou le moelleux d’un chandail. C’est encore le réveil qui crée le mieux cette sensation. Rêver, comme on improvise une recette de cuisine avec les moyens du bord. On ne sait pas à l’avance la saveur dominante.

 Avec les rêves, on peut pleurer.

 Rêver, comme une manière de vivre vite, en court-métrage, et sans être interrompu. Rêves de couloirs, de labyrinthes, portes fermées, couloirs encore, portes béantes. La sortie n’est pas prévue, ça ne pose aucun problème, je ne la cherche pas. Je déambule. Deux termes d’un même champ, « rêve » et « onirique ». « Onirique » est joyeusement dissident, « rêve » est un acte tendre .

 Avec les rêves, on peut croire.

 Rêves de pluie, d’orage. J’entends les flic flic ploc. J’entends le tonnerre, j’entends les feuillages soumis. J’entends les cliquetis, le ruissellement, la claque du volet. J’entends le fin rideau de la pluie. Pas de visuel. Je ne m’attache pas à mes rêves. Ils me le reprocheront un jour. Rêve d’album-photo dont je tourne les pages. L’album est à moi, mais ce n’est pas moi, c’est une main inconnue. Les photos sont floutées. A chaque page, des odeurs de talc, de poudre de riz, des couleurs sépia. C’est l’album de mes ancêtres, je le sais, mais je ne vois pas leurs visages.

 Avec les rêves, on peut jouer à cache-cache.

 Rêve de poursuite. Angoisse. Je cours, je ne respire plus, toujours le corbeau à me surveiller et la femme en noir me rattrape, par à coups, je la sème, elle est encore là, noir corbeau, angoisse.

 Avec les rêves, on peut être étranger.