du 23 au 28 août 2022 à Heyrieux (38)
ON ECRIT TOUJOURS AVEC DE SOI
L’idée de ce stage a été d’aller puiser dans notre intérieur, dans nos réminiscences, dans nos expériences, ce quelque chose de précieux qui n’appartient qu’à nous, que l’on garde dans un espace plus ou moins secret pour transformer cela en une pâte riche d’écriture, prenant distance avec l’autobiographie par le biais de la fiction, à l’aide des différentes propositions données par l’animatrice.
Fausta et son texte du 5ème jour
J5 20 août 2022
Lui, ce timbre guttural qui terrorise la vieille chatte quand il rentre des champs, harassé, titubant, la bouteille vide de Kiravi dépassant de sa musette, sans cesse à hurler que sa femme n’est qu’une bonne à rien. J’ai appris à me taire depuis longtemps. De palabre en palabre, il accompagne la nuit, le verre toujours plein posé sur une nappe souillée, les mains tremblotantes, les jambes squelettiques croisées sous la table. J’entends l’hypothétique injustice de la vie à jamais imprégnée dans ce corps imbibé. « Quand on est un homme, on sait boire ! » claironne-t-il du fond de la cuisine. Les chevaux ne gagnent jamais sur ses tickets perdus, poches percées, cœur troué. Dans une vie aussi délabrée que la sienne, l’amour a pris la couleur du deuil, celle du noir des robes des femmes servantes et obéissantes. Il se plaint que la vie à la campagne est rude, pauvre soliloque devant son assiette intouchée, spectre humain sous les outrages des années de beuverie, je n’ai qu’une envie assommer de ma canne cette pauvre loque.
Martine
Marie-Pierre
Domie
Geneviève
Pierre Panisset et son texte du deuxième jour
J2 17/08/2022 Eichenkönig le Roi des Chênes
S’il commence à perdre ses feuilles, n’est-ce pas que l’automne s’avance ? La sécheresse a bien dégagé la nuque. Il va être chauve. Chauve dans un paysage de cailloux et de buis secs. Le panorama sera lunaire. Il a l’habitude. Il est fier de sa solitude au milieu de ce champ, son champ de ruines. Ici avec le climat, les amplitudes de température, les épisodes cévenols, résister devient le mot important dès le début de l’automne. Il a soif. Ses branches se dessèchent. La pluie violente ne l’abreuvera pas, tout au plus il s’y sentira un peu rafraîchi. On a beau s’habituer à tout, penser qu’on est plus fort, quand on y est, quand ça vous touche de plus près il n’y a plus qu’à laisser faire. Laissez faire, c’est un impératif des arbres du plateau d’autant plus vrai quand ils sont solitaires. Le vent vient alors soulever branchages et feuilles, amputer parfois d’une branche ou deux, celui qui en a vu d’autres. Une vie c’est long. Des expériences, il en a subi de toutes sortes. On en connaît pour beaucoup les causes et les conséquences. Le vent, ce n’est que de l’air, certes parfois propulsé avec force contre le tronc qui, bien qu’il paraisse vaillant, craque de toute part. Mais il tient bon ! La fable du chêne et du roseau n’est que baliverne. Le roseau se dessèche avec le vent sec saharien. Le chêne lui résiste. Le chêne est résistance. Laisser faire, c’est aussi s’adapter. La pluie d’automne irriguera ses canaux et avant que l’hiver n’ait bloqué le processus, il reste de beaux jours pour que la sève regorge et permette aux feuilles recroquevillées de se déplier à nouveau, pour quelques jours, d’une prestance retrouvée. Un automne indien en quelque sorte. Ne pas trop s’abreuver. Ne pas trop profiter de l’arrivée de la pluie. Ne pas se comporter comme ces arbres des forêts luxuriantes ou, plus précis, luxurieuses, qui ne manquent pas une occasion de nouer leurs branches, de mélanger leurs feuillages dans une valse folle qui les mène à leur perte et les rend sensibles au froid qui succède toujours à l’automne. Ne jamais penser qu’on est au recommencement mais bien dans le prolongement d’un cycle. Nombre de cerisiers ou de lilas s’y sont froissés les fleurs. Pour pouvoir recommencer, il faut subir. Subir l’hiver qu’il soit doux ou cruel. Que la solitude est fragile ! Cela peut être détruit par trop de promiscuité « arboricole » C’est bien que la sève monte. On dit de la jeunesse qu’il faut bien qu’elle se fasse ou se passe. Ne pas trancher. Un arbre est jeune tant que la sève monte en lui, tant que ses racines courent le sous-sol à la recherche de la moindre goutte, tant qu’il arbore un maintien et une présence affirmée. Il n’est question, là, ni de mélimélo de branches, ni de valse endiablée. Si sa solitude le sauve c’est grâce aux nombreux blocs de calcaire que la nature, puis les hommes, ont entassé à son pied. Il faut imaginer les enfants en sarraus gris qui, dans leur panier tressé, rapportaient la cueillette de calcaire parfois si lourde que leur cabas ne résistait pas. Tout ce travail était vain car le lendemain d’autres pierres allaient remonter en surface et il fallait recommencer. Et cela depuis le début de l’agriculture. Tout a toujours été gris dans ce paysage mais le gris lui va bien. C’est le travail des enfants qui le sauve et qu’il honore au milieu de ces blocs. Une statue au milieu du champ. Il est né sous les gravats de gravats après la destruction d’une caselle où le berger d’alors se réfugiait quand l’orage menaçait. L’homme laissait provisoirement le troupeau qui se pressait, brebis et béliers les uns contre les autres à proximité de la caselle. Un gland abandonné au hasard, une facétie ou une punition des cieux. Rien ne prédisposait ce gland à germer. L’aléa et l’eau s’en sont mêlés. Un gamin bouscule deux ou trois blocs et le gland rejoint la terre inespérée. L’eau et la clémence de l’hiver suivant ont fait le reste. Il a poussé. Dès le début il est seul. Pas d’alter ego. D’autres glands n’ont pas pu ou l’aléa n’a pas été favorable. Il grandit, se fraie un passage entre les blocs prospère sans que personne ne s’aperçoive de son existence. Quand il est assez fort, il pousse les blocs. Maintenant sa corpulence lui permet de se montrer à l’Univers. Il n’a que peu de chance de grandir comme ses frères de la forêt. Les vents, le mistral, le grec, l’autan, le marin, auront bien vite fait de le tailler. Il gonfle son tronc pour mieux résister. Très protégé par les pierres instables, l’accès est difficile. Les chèvres n’ont jamais réussi à cisailler ses branches les plus basses. Il a ainsi pris l’allure d’un arbre de jardin, lui qui est si loin pourtant de cette condition. Il est de souche, terrienne, sans concession à quelque idée de culture. Il n’est pas cultivé. Il existe comme la preuve indiscutable qu’on peut pousser ici et dans ce champ c’est essentiel. Seul au milieu de ce que certains osent cependant appeler un pré. Il croît, parfois aidé par un climat sans affect, qui l’oblige au challenge, ou encore par l’intervention d’enfants qui le redressent, le taillent sans le vouloir, se servant des branches les plus accessibles comme épée de Templiers à la conquête de leur Jérusalem. Du moment qu’il s’agit de guerre enfantine, l’arbre n’a pas lieu de s’interposer. Il peut cependant s’offusquer quand la branche trop grosse ou torturée est délaissée pour une autre plus conforme à l’idée qu’un enfant se fait d’une épée médiévale. Les repousses au sol pourraient faire croire à une « Excalibur » arrachée aux gravats. Les enfants négligent cette possibilité ou ne connaissent pas la légende. Alors il faudra perdre tout son feuillage, ce qui est la loi de la nature quand on est caduc. Les autres arbres voisins au feuillage persistant, il les méprise. Ils font semblants, en fait ! Ils perdent leurs épines ou leurs feuillages tout au long de l’année de sorte qu’ils paraissent toujours coiffés. Mais on voit bien qu’il ne s’agit que d’un leurre. Il suffit de regarder au pied de ces tricheurs pour comprendre. Les buis, c’est un peu différent, il a un sentiment de compassion. Attaqués depuis trois années consécutives par la pyrale ils sont en mort cérébrale. Le Chêne aime l’idée du bourgeon refermé sur lui-même, légèrement poisseux et poilu. C’est la promesse pour demain d’une renaissance. Il suffit d’attendre. Il n’en doute pas. Il y croit, pourquoi en serait-il autrement ? On dit qu’un arbre ne meurt jamais. Sauf accident… Une route qui va passer par là, un champ qu’on veut agrandir, une tronçonneuse qui croise l’arbre, l’idée d’un géomètre qui trouve ce chêne incongru au milieu de ce pré semé de blé triticale. Avec lui, on a envie de croire à cette éternité, même si on connait l’issue. Tout peut arriver. Un coup de foudre par exemple. Il a en a connu. Un cœur qu’on a gravé sur son tronc au couteau avec deux prénoms, un des amants plus tard délaissé qui s’étiole, perd sa bonne humeur, se meurt de tristesse. Le coup de foudre peut être létal. Son statut d’arbre seul, souvent pris en photo par les promeneurs, aimé par les gens du pays comme symbole de la vie qui lutte contre les éléments, le protège. Parfois on ressent sur ses racines le poids des ans. Ce n’est pas de tout repos de se faufiler entre les lapiaz pour s’enfoncer un peu plus, pour trouver la fraîcheur à défaut d’une miraculeuse poche d’eau. On imagine le trajet de ses vaisseaux de sève tortueux comme la chevelure d’une vieille sorcière. On se dit que c’est ce qui l’enracine au pays et qu’aucun vent ne peut avoir assez de force pour le plier. Mais les étés deviennent rudes pour lui. La question se pose : si il avait vécu en forêt, cela aurait-il été peut-être plus facile, chacun aidant son voisin, le guidant vers la poche d’eau qu’il partage, lui communicant toute information, se servant des champignons ceux qui sont là pour aider, non pour parasiter. Il craint désormais toute forme de parasite. Le pire c’est le lierre qui lui enserre le tronc et le fait souffrir. Personne ne l’aide. Les animaux ne mangent pas le lierre. Le piétiner ne sert à rien. L’homme ne l’arrachera pas. L’argument que le lierre fait tache verte en hiver dans ces dégradés de gris n’invite pas à l’arrachage. Être enserré à ce point est non seulement dangereux mais peut conduire à une forme de désespérance, du moins de dégénérescence. Il a vécu déjà si longtemps attaché à la terre aride du plateau qu’on peut penser injuste que le lierre le fragilise et le tue sans aucune protestation. Ne serait-il pas mieux d’en finir, d’espérer pour lui la tronçonneuse ? Non, ça ne serait pas dans l’ordre naturel des choses. Tout arbre a le droit de savoir ce qui se passe après l’hiver. Tout arbre doit vivre le printemps annoncé dans les bourgeons poisseux. Le printemps, le premier temps. Le temps de vivre comme une nouvelle saison inconnue, pas celle qu’on vient de vivre, pas celles de sa jeunesse, la promesse d’une autre année. « Spring » printemps et source, les Anglais ne s’y trompent pas c’est de source qu’il s’agit, de la vie qui jaillit à nouveau. Il a tous ses glands de l’année qui voudraient germer autour de lui. Parfois en remuant le tronc, il parvient à en aider un à descendre vers la terre meuble. Après ce n’est qu’une question de chance. Il sait qu’un jour il se brisera d’un coup, mangé par les larves de hannetons, vrillé par les termites et pour l’estocade finale plaqué par un vent d’orage lors d’un épisode méditerranéen. Alors il profite du soleil qui tombe là-bas vers la forêt des « persistants » qui commencent leur sabbat du soir avant que la brise ne tombe et qu’ils ne s’endorment laissant le champ libre aux petits animaux noctambules. Lui, il a des loirs qui s’agitent, se disputent, sautillent autour de son tronc. Une folle sarabande qui ne lui déplaît pas. De quoi sentir sur son écorce passer la vie. Quand on en arrive à cet état qu’on assimile volontiers au bonheur, à la sérénité, il reste une angoisse : ne pas être le « Roi des Chênes » à l’instar du « Roi des Aulnes ». On sait qu’il peut être regardé ainsi, lui qui est tout sauf arrogance, suffisance ou orgueil. On pense qu’il ne peut accepter ce rôle qu’à une condition. Ne pas être un double du personnage du poème « le roi des Aulnes » de Goethe. Ne pas arracher l’enfant au cavalier qui passerait trop près. De manière physique ou psychologique. Le chêne n’a pas vocation à être « Aulne ». Ne pas voler l’enfance de quelqu’un qui s’abrite sous son feuillage pour se protéger un instant de la nuit ou de la tempête. Surveiller ses branches, éviter tout ce qui pourrait retenir l’enfant pris dans les nœuds tourmentés d’un arbre à la vie tempétueuse, rendre lisse tout ce qui agripperait. On ne peut être la cause, ou du moins le témoin privilégié d’un drame. Être l’Eichenkönig, pendant optimiste et réconfortant de l’Erlkönig de Goethe L’arbre sent, ressent, sait qu’il est immortel. De plus, il est sûr qu’un jour, il mourra. On ne peut vivre avec la première affirmation que si l’on a accepté la seconde.
Michèle
quand il pleut… abri garage
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