ANTHOLOGIE : Arabesque

Parue aux Editions des Traboules au dernier trimestre 2004, cette anthologie abrite quarante-huit auteurs, ayant fréquenté un jour ou l’autre les Ateliers d’Ecriture de l’Arabesque.
Les textes se succèdent. On se laisse emporter tour à tour, par les émotions, les souvenirs ou l’imaginaire.

Les voici
joyeux, tristes, lumineux…

Maguy Jean, à qui cette anthologie est dédiée, traversait l’écriture comme on pérégrine sur les sentes, heurtant ses mots aux cailloux surgis, ajustant l’image jusqu’à l’incisive netteté.

« Ma boussole personnelle, la poésie des lieux. Je sais que quelque chose va se passer, d’intime et d’essentiel, la vie qui se manifeste, l’imprévu à accueillir. Contemplation qui me sauve momentanément des tensions intérieures… Ma force c’est de contempler la vie… être en attente de l’imprévu, me laisser surprendre… Trouver les moyens de communiquer cet émerveillement. »


QUELQUES EXTRAITS


Auteur : Évelyne BERNARD

LA VALLÉE MAUDITE

Il était une fois un jeune bédouin, Ibrahim, assis au détour d’un chemin caillouteux. La lune éclairait à peine son visage hâlé, accentuait ses pommettes saillantes, son nez aquilin. Des fossettes soulignaient un air enfantin. Un turban savamment attaché ceignait sa tête protégée par le capuchon d’une longue veste de laine. Sa voix était chaude. Le blanc de ses yeux ressortait dans la pénombre ainsi que la blancheur de ses dents. À côté de lui, d’autres bédouins, avec insistance, proposaient un dromadaire pour l’ascension de la Montagne Sacrée. Ibrahim, lui, n’avait qu’une petite torche. À la demande du groupe, il conduisit la marche, d’un pas rythmé, silencieux. La lente procession s’inscrivit dans la nuit claire sous le silence des lumières.

——————


Auteur : Jeannine BONNEVIE

PLAINTE AMOUREUSE D’UNE VAGUE

Revenez, je vous aime. Je prends plaisir à vous guetter, toi le Blond et toi le Brun. Vous arrivez très tôt, joyeux et bronzés, à demi-nus, dévalant en souples enjambées les marches taillées à flanc de rocher. Je vous perds de vue lorsque vous contournez le fortin, puis vous réapparaissez sur la plate-forme qui surplombe la falaise.
Impatiente je m’enfle de désir, je n’ai qu’un seul but me hisser jusqu’à vous, lécher le bout de vos pieds, goûter à vos orteils. Je recule. Je prends un grand élan.

——————

Auteur : Thierry BROUSSET

LE LABYRINTHE

Je suis devant la porte. Au-delà de ces murs froids, au cœur du labyrinthe, se trouve la machine qui rythme la vie des Résidents de la Ville Nouvelle. À l’origine, le but de cette machine était louable. Aujourd’hui, elle agit à sa guise. Ce labyrinthe m’angoisse bien que j’en sois le concepteur. J’en connais tous les pièges. Le système à ballon à air chaud, qui nous permit d’en sortir à la fin de la construction, a été détruit pour que personne ne puisse revenir par les airs dans le cœur du labyrinthe. Je suis équipé d’un localisateur à écran. Le point rouge clignotant m’indique où se trouve la machine. Le point vert se déplacera en même temps que mes pas.

——————

Auteur : Marie-Agnès CHAVENT-MOREL

Avant de taire ta beauté
dans le bruit des clous,
ils t’ont glissé en une soyeuse gangue

Ton nom sur la stèle
et ton visage
tout près

Tu accomplis la métamorphose

Si tu pouvais sentir le soleil sur ta peau
Frère dans l’ombre

Si tu pouvais frémir au vent du Causse

Si tu pouvais cesser de mourir
Si tu pouvais cesser de mourir…

——————

Auteur : Jeanne COUTURIER-BERNARD

HAÏKUS

Le vert de l’épi
N’éteint pas le rouge du coquelicot
Bravo.

Corbeau noir, cabri blanc
Entre chien et loup
La lune se lève.

Le chat noir, le chat blanc
Dans une écuelle émaillée
Lapent le lait chaud.

——————

Auteur : Anne-Marie JOANNIN

Devenir ou devinette. Qu’il est difficile de répondre ! Que vas-tu faire ? Je n’en sais rien… Et pourtant, au fond de moi, je sens quelque chose prêt à éclore mais sur lequel je ne sais pas encore mettre un nom.

Étoilée. Nuit d’août 2003. J’ai quarante-quatre ans et pour la première fois de ma vie je dors à la belle étoile. Brise extraordinaire qui me caresse, odeur inconnue de MA terre, MON herbe. Roulée dans mon sac de couchage, je me sens minuscule comme l’étoile dans l’univers.

——————

Auteur : Jeannine LEVA

UNE PETITE HEURE

Herr Altenbarr était vieux et las. Il regrettait amèrement d’avoir entrepris cette croisière sur les conseils de Kalbaum, cet ignorant imbécile qui lui servait de médecin. L’air pur, le calme du large, les effluves iodés feraient du bien à votre Excellence. Sottises ! Comme si tous les océans du monde pouvaient quelque chose contre le temps, ce temps où Herr Altenbarr avait déjà tant puisé au cours de quatre-vingt-deux ans d’une vie bien remplie. Il était vieux, presque scandaleusement. Combien en avait-il suivi de cortèges, de la maison à l’église et de l’église au cimetière ? La mort avait beau être une vieille connaissance, elle n’en restait pas moins l’ennemie, l’impitoyable ennemie, guettant le premier faux-pas, le moindre rhume ou la plus mesquine faiblesse.

——————

Auteur : Sylvie LONGCHAMPT

L’IMPASSE

Il dit aurait pu, elle entend jamais pu. Ils arrivent dans une impasse, elle, barrée, lui, interdit, d’être là ? Il dit aujourd’hui c’est comme ça, lui, labile… Tout pourrait donc basculer ? Mais où ? Chagrin. Il lui avait dit, glacial, n’avoir de temps pour rien. Ils ont pourtant longtemps erré dans le vent. De ses yeux dégouline le froid, bleu. Elle se souvient d’eux légers, ludiques et gais. Il dit avoir quand même faim, elle entend la fin. Il mange une quiche, elle promène la sienne de flaque en flaque. Elle essaye d’allumer une cigarette dans le vent. Il ne l’abrite pas du vent. Il dit qu’il a tout le temps froid en ce moment

——————

Auteur : Jacqueline MOULIN

BLANC

Pliés dans un papier de soie, les draps
De mon berceau,
Blancs, comme
Le début d’une vie où tout
Est à écrire.

Blancs, comme
Ma robe de baptême.
Comme,
Ma robe en broderie anglaise,
Que ma mère avait confectionnée pour ma
Première Communion.

Blancs, comme
« Les roses blanches »
Qu’elle chantait
Si bien.

Blancs, comme
L’angoisse devant une
Page où je voudrais
Écrire ce que je ne peux
Pas dire, les lettres
Se bousculent, les mots
Tombent,
Les larmes les révèlent.

Blancs, comme
La toile sur laquelle le visage
Aimé ne se dessine pas.

Blancs comme
Le linceul qui
L’emportera.

Blancs
Immaculé
Froid.

——————

Auteur : Maurice NAIGEON

SI LA MAISON…

Si la maison pouvait parler, tu entendrais d’abord les cris de la mère qui vous houspille, tes frères et toi, pour un courant d’air quand la porte s’ouvre, pour une trace de chaussures sur les pavés, pour le café au lait pas assez vite avalé. Tu entendrais la cloche de l’école qui t’appelle à neuf heures moins le quart juste au moment où Cambazar le facteur déboule dans la cuisine en lançant « za zonne, za zonne. » Le cartable sur le dos, tu entendrais les roues bandées d’un char tiré par un cheval, écraser la route empierrée.

——————

Auteur : Raphaëlle RAAB

UN MORCEAU DE JOUR

Un morceau de jour s’était détaché du ciel. Il avait dégringolé dans la forêt et emporté un arbre. À peine avait-il versé dans le ruisseau, qu’il s’était mis à couler jusque dans la citerne du village. Cependant, alors que personne ne soupçonnait l’affaire, la chaudière de Monsieur le Maire se mit à soupirer des nuages, le robinet de Monsieur l’Curé coulait bleu comme un ciel de printemps, et voilà-t-y pas que l’eau s’mettait à bouillir toute seule et jetait des éclairs dans toutes les casseroles. L’on commençait à s’étonner du phénomène

——————

Auteur : Anna SURRET

Dedans les machines dialoguent. La cinquième symphonie de Beethoven s’achève. D’un même mouvement, les trois femmes tournent leur regard vers la pendule. Plus de minuit, c’est l’heure d’arrêter ! Plus aucun son ne sort des haut-parleurs. La fatigue tenue à distance par la musique, s’abat d’un coup sur les épaules des ouvrières. Les yeux piquent, les doigts s’engourdissent, ciseaux et aiguilles se rebiffent. Les néons n’éclairent plus qu’un lieu sans vie.

——————

Auteur : Bernadette WECXSTEEN

Qu’avez-vous donc de si précieux, belle Madame,
Pour tenir ainsi votre ventre à deux mains ?
Cette promesse d’enfant qui vous habite
Vous donne ce port de reine qui vous va à ravir.

Le temps est venu pour vous
De tisser au creux de vos entrailles cette nacelle de soie
Qui bercera votre tout petit au cours de ces neuf prochains mois.
Le père est parti

——————