Tout en blanc sur la photo

Nadine Nagel

Jolies toutes ces communiantes, toutes menues dans leurs belles robes blanches. Je ne m’en lasse pas, et tant pis si l’on me catalogue dans la rubrique « Photographes en mariages et communions ». Le roi du blanc comme dit ma sœur avec ironie, quand elle n’ajoute pas avec perfidie « ce n’est pas comme ça que tu passeras à la postérité ». Non, mais c’est comme ça que je paye le loyer. Elle se ressemblent toutes ces communiantes, mêmes tenues, mêmes tailles, mêmes visages angéliques. Toutes ? Non ! Pas la grande là, tout au fond. Trop grande, trop triste pour une communiante, une mariée, une mariée sans mari. Ce n’est pas seulement la taille ni la tristesse, elle est différente. Pourquoi si différente ? Je ne saurais le dire or j’ai l’œil, c’est souvent le pourquoi de ces visage-là qui m’attire. Tu n’es pas venu pour te faire plaisir mais pour payer le loyer alors, cadre l’ensemble, le chœur, les vitraux, les fleurs. Ils veulent tous l’ensemble avec leur progéniture au milieu. 14 gamines groupées sur le même cliché, chacune donnant l’impression d’être au centre. Clac, clac… pas mal, encore une ou deux… voilà, celle-là, oh parfait. Je la vends 14 fois c’est sûr ! 14 ? 13, probablement pas la mariée, personne ne va acheter, pas même les parents, ce regard si sombre, si amer, si rétif.

Mais moi je la veux. Qu’est-ce qu’il y a dans cette tête-là ? C’est elle que je veux cadrer maintenant. Percer son mystère. Elle a de jolis yeux verts. Qui l’a affublée de ces horribles lunettes dignes de l’armée ou des bonnes sœurs ? Pour masquer quoi ? Elle paraît porter le poids du monde sur ses épaules. Tu es trop jeune pour ça ma belle. Morose mais incisif le regard, perçant, inquiétant même. Qu’est-ce que tu veux cacher ? Que même si tu portes le poids du monde il ne t’écrasera pas, que tu attends ton heure pour le faire exploser ? Dis-le-moi. Laisse-moi entrer chez toi. Tu es raide, tes gestes sont brusques, tu es fâchée avec ton corps, pourtant il est à toi, il est toi, pourquoi ce rejet ? Tu es sur le qui-vive, mais sans avoir peur. Tu me fais penser à une girafe, toujours aux aguets, jamais surprise, trop affûtée.

C’est fatiguant tu sais, même pour les girafes.

J’en ai plein mes albums des comme toi, plus vieilles en général, tout en noir, usées et pleines de colère. J’en ai tant vu dans ma jeunesse, dans mes reportages de guerre. Que vas-tu faire toi de ta colère, jeune fille ? Il faut t’en libérer si tu ne veux pas qu’elle te consume. Ne me demande pas comment faire, je ne sais pas. Moi je n’ai fait que fuir toute ma vie. Toi, tu n’as pas l’air de quelqu’un qui fuit, tu sembles avoir autant de force que de colère. Mais aujourd’hui, juste pour moi, essaye de sourire !

1er septembre 23 . Stage Heyrieux

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