« Autoportrait »

Paule GAILLARD

Je suis une jeune fille.

Grande, bien plus que la moyenne.

Maigre, trop par rapport aux canons du lieu et de l’époque. Comme j’ai de grands abattis on me compare aux araignées : toute en pattes. Mes membres étant très longs, j’ai des rallonges de tissus ou de laine tricotée au bout des manches et au bas des jupes pour « terminer » les habits de ma sœur ainée. Lorsque ma sœur me fait des vêtements neufs elle m’affuble de fronces aux épaules et à la taille pour cacher ma maigreur.

Mes mains frêles sont inadaptées aux durs travaux agricoles. J’ai une petite tête pour mon long corps, un visage pâle ovale, des cheveux blonds cendrés raides que je laisse tomber devant mon visage pour le cacher, une bouche quelconque, un nez de bède(1) dit le voisin, pas de menton, un front haut déjà soucieux et des petits yeux myopes. Des lunettes bien sûr, que j’enlève en public pour ne pas voir qu’on me regarde.

Pour palier ma stature de sauterelle, je me tiens voutée. Pour ne pas montrer ma timidité j’affiche dans les rues du village le style « princesse lointaine ».

Je n’ose pas parler parce que ma sœur dit que je suis bête. Pourtant je sais que j’ai du potentiel, que j’ai de la valeur et, si peu que j’arrive un jour à quitter ce milieu qui m’étouffe, je sais que je saurai les faire éclore. En attendant je lis beaucoup et j’écoute. Comme je parle peu les copains me font des confidences, certains que je ne répèterai pas. Ils me racontent notamment leurs expériences amoureuses, sexuelles, moi qui n’y connais rien.

Mais j’emmagasine : ne pas coucher avec n’importe quel garçon, en prendre un qui te connait et t’épousera si tu tombes enceinte. Attention aux slips sales et aux soutien-gorge qui tiennent avec des épingles, ça fait mauvais genre. Ne pas harceler un copain avec qui tu as couché et qui ne veut plus de toi.

Jusqu’à son mariage ma sœur le dimanche m’oblige à l’accompagner à la grand’messe. Heureusement j’aime chanter et je rejoins le chœur de chant. L’après-midi avec des copines je vais me promener vers la vierge et les coquines s’éclipsent sous les buissons avec leurs amoureux. Si la vierge pouvait parler… Mais elle est aussi mutique que moi.

(1) Une bède : une betterave fourragère.

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