« Qu’allais-tu faire, mon ami, aux confins de la réalité ? »
Aragon
Pendant une semaine, les stagiaires ont approché la question de l’Ailleurs, dans des allers et retours incessants entre écriture, lecture, découpage, collage, pour aboutir à une présentation de leur œuvre.
Séance d’écriture, Séance de collage, Pérégriner et trouver l’Ailleurs en soi
PROPOS D’UNE STAGIAIRE :
« Dès le dimanche soir, les lignes de l’Ailleurs s’inventent avec nos mots sur des feuilles blanches ou des cahiers. Nous sommes autour de cette grande table d’écriture, à lire nos textes. Je retrouve le plaisir d’entendre les écrits de chacun… Le voyage en écriture commence.
C’est parti pour une semaine, avec cette impression que le temps va être extensible et… survient le mercredi où je m’affole : textes à retranscrire, collages à déployer, conversations à délayer…
Des jours précieux avec, alentour, des livres, des récits d’auteurs que Marie-Agnès Chavent Morel nous invite à découvrir, juste avant nos silences d’écrivants, cherchant nos ailleurs.
Le plaisir de vivre une semaine entre parenthèses s’intensifie.
Les perspectives de l’Ailleurs deviennent personnelles et créatrices.
Vient le dernier soir avec la balade-spectacle des textes et des collages, que chacun joue, cadeau de vie. »
P.C.
AUTRE PROPOS :
Pour s’immerger dans les mots,
Comme à la piscine on entre dans l’eau de bien des façons,
Entrer dans les textes par le cœur, la sensation, le souvenir, par l’esthétique…
Rester au bord parfois,
Écouter…
Pour rencontrer un groupe amical et convivial,
Pour prendre soin de soi,
S’écouter…
Cet été le stage réservait des surprises : Sylvie nous a accompagnés sur les « ailleurs » de la création plastique… Collage, décollage !!!
Ça découpait, ça collait, « glaneurs et glaneuses », ça se composait, ça se discutait
Ça se créait sous nos yeux….
Au final, des décors-compagnons pour une lecture des tous derniers textes susurrés au papier.
Nous étions « ailleurs », sur les chemins des mots, sur les sentiers de campagne, dans nos émotions partagées.
À l’heure de rentrer, on se surprend à garder un mot : richesse.
MPKL
Chacun en son Ailleurs, le dernier jour
Près de la maison
Ou dans l’intimité d’une chambre d’écriture
Dans un champ
Si ce n’est dans une cage à poule
Et comme souvent dans les histoires, tout se termine par un repas, que l’exceptionnel chef a concocté.
EXTRAITS
De Vivi BERNARD :
Je vous retrouve au loin
molles collines verdoyantes
village paisible et sentiers bordés de buis…
Le chemin a été rude pour accéder à votre paix.
Je veux garder cet ailleurs
où les étoiles se ré-affirment
Je veux garder cet ailleurs
où tous nos possibles se rejoignent
Je veux garder cet ailleurs
où nous créons des matins riants du jour à venir
Je veux garder cet ailleurs
où nous inventons au quotidien notre futur
Je veux garder cet ailleurs
où nous allions nos différences
Je veux garder cet ailleurs
où nous nous engageons dans le soutien
Je veux garder cet ailleurs
où nous amplifions notre avenir
Je veux garder cet ailleurs
où nous agrandissons ensemble une part d’éternité.
Je veux m’engager en cet ailleurs
telle que je suis
envers celui que tu es
De Marie-Pierre KOHLHAAS-LAUTIER :
« L’Algérie en héritage »
Un beau titre dans un magazine.
Puis-je prétendre au titre ?
Aller là-bas
Pour hériter de la lumière et du savoir des femmes.
Là-bas les femmes cuivre et henné
Là-bas aussi les femmes de ma famille lavande et camomille
Le jeu de leurs regards, khôl contre eye-liner
Ne pas choisir
Ce qui souligne encore plus sûrement un regard,
C’est le rêve d’un ailleurs…
De Christian ZIMMERMANN :
Ailleurs en soi
27/7/07
Polyglotte
Des langues bruissent en moi que je porte au plus profond, langue venue de l’enfance primitive portée par la tribu, d’abord langue première dont les vibrations passent par le corps-mère, et s’enroulent indélébile autour de l’axe de mon être, langues héritées qui somnolent en moi dans l’attente d’un éveil, qui voyagent dans ma mémoire avec leurs sonorités qui viennent faire ressac à mes oreilles oublieuses, langues qui attendent de prendre forme, prendre souche en un lieu de frottement possible, langues qui attendent que ton souffle s’en empare pour être proférées, langue du poème qui cherche sa prosodie, langues apprises sur le tas, vocables asséchés par l ‘oubli, langue quis’étiole faute d’avoir été proférée.
Funambule du destin
La chanson dit « je suis né quelque part », j’aurais pu naître ailleurs, dans un autre temps, sur une terre aride et glacée, dans le désert, dans les plaines de la Pampa, au bord du lac Titicaca, dans les faubourgs de Tokyo-Yokohama, en Chine au pied du Kilimandjaro, en Patagonie, dans le Montana au bord du Saint Laurent, en Australie… Ce qui advient après est une autre affaire, le terreau de départ fait souche, l’identité se tresse au gré d’un lieu, d’une histoire, se tresse et se défait pour se recomposer sur d’autres soubassements, empruntant des chemins de hasard.
Je marche le long de cette route, m’éprouve marchant et c’est l’enchantement du monde, l’épreuve d’un pas suspendu entre deux infinis, des infinis de possibles, angoisse primordiale de l’être qui s’en va cheminant droit devant … Ne pas regarder trop en arrière, ne pas regarder au-dessous de soi… À chaque avancée, son effondrement, à chaque avancée, puis viennent les chemins de traverse, les pas de côté qui ouvrent notre regard, nous lestent d’expériences nouvelles. Et puis il y a ce monde plein de bruits et de fureurs qui nous disperse, affaiblit notre être, nous fait oublier l’essentiel ; l’essentiel à nos pieds, l’essentiel d’un paysage, l’essentiel d’un visage, d’une présence, celle de l’être aimé, ce monde pressé nous entraîne dans cette course vers l’oubli. Rester bien en équilibre infatigable sur la corde tendue de notre destin.
Danse
Il te faut toujours soustraire pour ne pas tomber dans la confusion, la lourdeur, l’ennui Arriver à l’épure, comme l’archer zen, pour pouvoir enfin jouer avec la pesanteur, tes pesanteurs. Te souvenir que d’autres avant toi ont atteint ce plaisir rare, cette jouissance qui se lève au fil des pas bien cadencés, bien balancés où parfois tu peux si tu le veux toucher à la grâce. Tu refuses la discipline de l’apprentissage fastidieux alors danse ta danse comme une œuvre d’art. Elle te demandera patience, obstination, toi derviche tourneur de ta vie.
Visage
Ton visage me dit l’histoire de ta vie, me dit l’histoire de tes ancêtres, il me conte au fil des jours sous la peau caméléon des humeurs, tes états d’âme ; ton visage est une énigme indéchiffrable, qu’il m’est impossible de comprendre autrement que par la longue conversation de nos corps, de nos voix. « L’entretien infini » qui s’écrit d’abord dans un profond silence, dans le rire libre d’un enfant, dans le chant de l’oiseau, dans la musique du vent, dans la myriade de feuilles-rhombes qui vivent à l’unisson.
Solitude
La solitude est un jardin que l’on cultive chaque jour, recueillement et présence à soi ; un exercice de familiarité avec son étrangeté première ; Dans le « Qui suis-je ? » c’est être debout dans ses épars, dans ses plis et replis, dans sa confusion, son chaos intéreur, c’est être quelque part où personne d’autre que toi, n’a droit de cité sondeur de tes profondeurs. Au fond de toi, il y un vide abyssal qu’il te faut combler par la parole, l’action, la relation à l’Autre au risque de te perdre. L’autre danger qui te guette est l’oubli de soi dans les gesticulations de ta vie, dans l’immersion dans l’écume de ce monde en fusion, monde au bord de l’asphyxie. Alors comment préserver ces moments salutaires de solitude, ces moments où ne t’épargnera pas le vertige du vide ?
Chant profond
Saetas fléches lancées de la foule pour invoquer Dieu le jour de Pâques, chant du sorcier, du chamane qui tourne autour du corps souffrant, chant de l’aède antique, du griot d’Afrique, chant du guerrier solitaire avant son dernier combat, chant polyphonique des femmes bulgares, chant, a capella des paysannes des Pouilles des Abruzzes, chant des esclaves noirs, des bagnards, chant que tu sauras faire vibrer du fond de ton être.
Clowneries
Mets les bouchées doubles, mets les pieds au mur, fissure ta façade, grime-toi le corps entier de couleurs criardes, agite les grelots de ta folie, fais de tes paroles, des bulles de savon, mets ton bonnet d’âne, regarde-toi dans un miroir et marre-toi !
Terre (chant)
Ballet de libellules sous les ombrages,
Clapotis de rivière qui méandre
Broderie de chant d’oiseaux
Herbes folles, buissons, taillis,
Arbres altiers, arbres penchés, courbés par les vents
Chemin boueux
Chemin qui m’appelle
De Martine RIVOIRE :
Don de la vie
Porter ses pas vers l’esprit libre.
Libre de sentir.
Respirer le paysage.
Être sur un chemin de terre qui craque sous mes pas lourds.
Suivre le sentier dans le sous-bois de buis. L’épaule frôle le feuillage. Un oiseau s’envole.
Écouter les bruits. L’oiseau, la berceuse des feuilles dans le vent.
Écouter, apprécier le silence. Ne penser à rien.
Je respire le parfum des aubépines.
Je goûte l’arôme sucré des mûres.
Mon corps s’abandonne.
Apprécier l’émanation de la terre mêlée à la mousse, aux bois des arbres.
Ne songer qu’à soi.
Humer ce bouquet de vie. Rester. Rester là. Savourer.
Prendre le temps de sucer la tige d’une fleur.
Plonger dans un paradis perdu.
Se noyer dans les essences des bouleaux, des chênes verts, des charmes, des noisetiers, des hautes fleurs sauvages.
S’enivrer.
Rester là, devant un arbre déraciné. Le caresser. Lui parler. Sentir la rugosité de son écorce. De la pousse qui se dérobe de son tronc.
Dévorer des yeux un monde microscopique, les fourmis, les cloportes, les milles pattes.
Ne pas piétiner.
Préserver le trésor dans son écrin.
Le vert des feuilles, l’ocre de la terre, l’anis des jeunes pousses, le rouge des baies sauvages, le mauve des chardons ardents, le bleu du ciel.
En prendre plein les yeux.
Et ce rayon de soleil qui traverse la feuille pour lui donner bonne mine. Panachage de verdure. Couleurs chaudes des tournesols en contre bas dans la vallée.
Les verts chatoyants des arbres dans cette mosaïque de couleur.
Correspondances des complémentaires.
Équilibre.
Douceur de vivre.