L’arbre de ma vie

Céline Durand

J’ai un arbre dans ma vie…

Je l’ai aimé tout de suite. Pouvait-on parler d’appartenance ? Il était là, rayonnant même sous ce ciel obscurci. Il dressait ses branches pourvoyeuses d’ombrage, des branches tendues jusqu’au ciel. Ses courbures, parfois noueuses, s’étendaient en apesanteur. Il flottait là, les feuilles dociles imbriquées en chevelure verte. Son tronc solide et granuleux portait son poids au-dessus du sol. Il était aérien. Étrange pour un arbre ancré au sol par ses nombreuses racines.

Je suis tombée amoureuse de ce chalet, de ce jardin, mais mon amour profond allait à cet arbre. Quand je l’ai vu, régnant sur le terrain, je l’ai trouvé si beau, fort, puissant. Mon regard convergeait en ses branches. Un toit, oui mais riche de son histoire. Il ne pliait pas le tronc, poussant vers la vie joyeux et insouciant. Je me promis de veiller sur lui. En réalité, c’est lui qui me portait de toute sa magie. Propriétaire j’étais, resterais et pourtant, quand le vent poussait ses feuilles, ses branches, le grincement du bois en parti couvert par le bruit des eaux du torrent me contait une autre histoire. La forêt en face de lui ne possédait pas le tendre de sa verdure. Il lui répondait dans les jeux de parfum, mais l’odeur suave de ses petites fleurs de tilleul ne se mêlait pas à la senteur forte des sapins. Je n’aurais pas aimé voir couler sa sève comme sur ces troncs écorchés et bordés de sciure.          Il était à moi. Je touchais son tronc béatement comme s’il m’entendait et lui offrais la promesse de toujours le garder.

Et puis le temps passe, les événements s’entrechoquent. Lui, stoïque du lever au coucher du soleil, immobile et silencieux, perd de sa tendresse, dégarni d’une troublante calvitie, il hiberne. Le soleil et sa verdure me manquent. C’est l’hiver, la solitude. Il ne fait plus écran à l’œil des voisins. La saison passe. Le froid et maintenant le chaud, toutes ces images, toutes mes visions semblent animer ses feuilles. Elles s’orientent bizarrement et, de ma chambre, couchée au sol, mes yeux se portent dans les feuillages. Ses branches basses frottent et crissent sur le bois sombre du chalet. Tout se déforme. Je vois des personnages, là, dans leur parure folklorique et des casques militaires…Les sourires grincheux et cyniques obscurcissent ma vision et dansent au rythme éclairé de la nuit. La lune haute me gâche le sommeil et mon imaginaire galope de toutes ces histoires sordides, lues, racontées qui avancent dans ma vie comme un mirage. Le tilleul perd de sa volonté à me tenir paisible. Dessein unique d’une femme à vouloir posséder un cœur qui bat dans les ramages, une terre que l’on croit protectrice. Plus rien ne me protège… l’ennemi a passé ma porte. Le tilleul danse dans la nuit, dirigeant son canon, et son fusil est chargé.

Je me penche, touche son écorce et caresse le bois dont mes souvenirs avaient tu le crin rugueux, immobile comme un cheval de Troie. Je te haïs mais je t’aime surtout au-delà des mots. Habile de sensations, pourvoyeur électrique, je sens battre ton pouls et je me livre corps et âme à ta magie. Opérante, inopérante, tout s’alterne, tout dépend comment je te regarde. Je mets les yeux de biais et je vois ton profils biaiseur. Je te le rends. Les yeux ouverts, on se regarde de travers, ami, ennemi…Et puis je ferme les yeux. Alors là, je ramollis. Ton vice aux racines chargées m’emmêle à ta coupe. Je te scierai le tronc plus tard, je ne veux pas vivre dans ton odeur de sève récurrente et salissante. 

Je souhaite beaucoup de bien à mon tilleul qui n’a jamais été à moi, qui n’a jamais été de bois. Sensation perfide, passagère et qui aujourd’hui indélébile, m’éloigne d’un tronc solide. Les feuilles mortes du tilleul ont encore changé de saisons. Arrondies, généreuses, offrant l’ombre de toute la force de leurs nouvelles pousses, elles tombent pour un hiver qui paraît toujours durer, même sous l’hécatombe d’un été. Tilleul, tu es passé de la magie au désenchantement. Mes larmes se sont taries et pourtant ton écorce solide ne semble pas en avoir gardé de traces. Tu vis, tu pousses, tu parles aux tiens, aux sapins élancés qui s’agitent en tout sens comme des mains qui se tendent pour se dire adieu. À eux tu parles. Tu parles au chat qui s’accroche tout en haut. Tu parles aux herbes folles. Mais moi, je n’entends pas ta voix. J’ai beau poser ma joue contre ton écorce agressive, je ne sens qu’une peau morte, invalide de guerre. La senteur de tes feuilles se noie dans l’odeur de tabac. D’ailleurs, je ne te respire plus, je ne te regarde plus. Tu n’es qu’une pièce dans un trop grand puzzle.

Tu m’as pris la main de ta branche noueuse pour me donner à ceux qui parlent ton langage. Muet. Tu es le pro du dialogue. La pie jacassante et le geai teigneux acculés à tes branches ont fait fuir l’écureuil. Oublieux de la balançoire accrochée à ta branche la plus sensible, tu as éradiqué le seul souffle que j’aurai pu pousser pour être enfin vivante. Opiniâtre, je me débats d’une réalité qui m’échappe. Prompte à me farder et à me décharger, j’accuse l’arbre de ses fresques et de ses farandoles, là sous l’écorce, là où ma main a palpé son cœur. Je me sens m’éloigner de lui et devenir autre. L’arbre a perdu de sa charge. Le temps passe encore. Il m’indiffère et ses branches taillées à vif ne m’intéressent plus… leur bois repose sous le hangar. Je l’exclus sans le brûler. 

Le temps passe, les morsures restent. Ton tronc est lisse. Les pensées ne t’égarent pas. Tu pousses droit sous le soleil, tu pousses droit sous la lune. Oublieux et à la défausse tu t’acclimates. Je n’en prends plus ombrage. Tu es libre de vivre ta vie d’arbre. Tes racines profondes ont peut-être de l’envergure, même si la taille de ton ramage ressemble au plumage d’un paon faisant la roue avec ses mille yeux hypnotiques, ravageurs. Je succombe, renaît une dernière fois même si le son de ta voix ne coule que dans tes veines.  Je ne peux t’en vouloir, tu n’es qu’un arbre. 

La balançoire de l’enfant n’a plus sa place… moi non plus. Je dis adieu au tilleul. Je dis adieu à ce lieu dans lequel la beauté se transplante plus loin, dans le béton des villes, dans les magasins, dans les centres commerciaux.   

J’ai eu un arbre dans ma vie…                        

La poterne des peupliers

Eliane Michalon

Au début ils ne venaient que l’été                dès  septembre  après la vogue      ils redescendaient dans la ville      rue Romarin          au cinquième étage sans ascenseur        Marie peinait de plus en plus dans cet escalier aux  fossiles incrustés dans les marches               Louis portait les bagages              Une année après la récolte des noix                ils sont restés sur la colline         la maison, les pivoines, les iris                 au fond du jardin une vigne                   Louis aidé des voisins vendangeait          une piquette qui brûlait l’estomac                de la rue Romarin ils n’ont gardé que les instruments de musique                  les meubles ils les ont vendus               Marie chantait moins, ,la harpe prenait la poussière                     longtemps elle restait assise dans la cuisine               sur le fourneau               dans une petite soupière blanche au motifs bleus            la soupe réchauffait         à la tombée de la nuit                          elle appelait        Louis              il n’entendait pas toujours                 il revenait vite de la cave      du fond du jardin           avec une salade, une bouteille d’Arquebuse       quelquefois le dimanche   après le repas      Marie chantait encore       les voisins l’entendaient                 s’accompagnant de sa harpe       la semaine, l’hiver surtout    elle ne quittait guère la cuisine       elle  se déplaçait difficilement         devant la table      ses pieds enflés  posés sur un petit banc         elle épluchait les légumes ou cousait         elle était habile     toute une saison elle crochetait              pour réaliser un dessus de lit blanc         la petite fille des voisins venait les voir        avec un morceau de potiron  une poignée de cerises         ils  l’attendaient       Louis racontait la guerre       les tranchées       ses pieds qui n’avaient pas gelé  grâce au papier journal dont il les avaient entourés                                     l’enfant  assise sur le petit banc de Marie      n’écoutait pas vraiment                 Marie brodait            l’un des deux presque toujours Louis  ouvrait le grand placard     sortait le  bocal                plein de pastilles au ton pastel              qui fondaient voluptueusement dans la bouche                la petite fille profitait de l’absence de Louis          elle pénétrait  dans le salon         tant d’objets la fascinaient        elle regardait avec envie      la dînette en porcelaine  pour  poupée         la harpe blanche       en cachette      d’un doigt elle effleurait les cordes          elle repartait toujours avec un présent     des bonbons, des noix          une robe pour sa poupée       une rose pour sa mère             tu reviendras                  Promis.

Ni car ni

Fanny Conte

 Ni les PFAS coulant du robinet ni les emballages papiers ni les usines de cellulose ni les pots d’échappement ni le goudron ni le bitume ni le glyphosate ni la trachée de Théo ni les bouts de plastique flottant dans l’océan ni les inondations ni la sécheresse ni la soif ni les migrants noyés en Méditerranée

Car l’histoire est sans fin

Ni les décharges à ciel ouvert ni les tissus du Relais vidé en Afrique ni le mazout sur les plages de Normandie ni les mouettes engluées ni les dauphins pris dans les filets ni la fonte des glaces ni la faim dans le ventre des enfants ni le COVID 19 ni l’angoisse ni les infections dans les poumons ni les « How dare you ?» ni les Greta Thunberg

Car le capitalisme est l’égocentrisme

Ni les roses blanches ni l’arc en ciel ni l’aurore boréale ni le colibri ni le chant du merle ni le baobab ni l’abeille ouvrière ni la toile de l’araignée ni l’olivier ni la fraise ni la lavande ni le champ de coquelicots ni les coraux ni les montagnes ni l’amour ni l’extase

Car l’absurdité du monde

Ni les Yann Arthus-Bertrand ni les sylvain Tesson ni les forêts de Sibérie ni la poésie d’Arthur Teboul et de Rumi ni les tournesols de Van Gogh ni le palais du Facteur Cheval ni les pyramides d’Égypte ni Rodin et son penseur ni Stefan Zweig ni la clarinette ni les nocturnes de Chopin ni les derviches tourneurs ni la mazurka ni la roue du paon

Car tout doit disparaître

Ce que l’on aime, ce que l’on a aimé, mais…

Ni l’air pollué ni le Roundup ni le plastique rouge ni les poissons morts ni les bruits assourdissants ni les publicités ni la rouille ni les vrombissement ni les bouchons ni les lumières ni les flashs info ni le démantèlement ni les guerres ni les grands fous et les petits cons

Car demeure le visage du frère

Serrures dogons

Elisabeth Vaillé

J’ai toujours préféré les serrures dogons aux serrures 3 points !

Les serrures dogons sont sculptées, la plupart du temps y figurent les jumeaux à l’origine du monde dans la cosmogonie dogon. Les serrures dogons ne sont pas  solides : accrochées sur les portes des greniers à mil, elles empêchent les animaux de rentrer ; sur la porte d’une case, elles délimitent l’espace privé.

Aucun n’assureur au Mali ne vous ferait un contrat, personne ne s’aventurerait à forcer cette serrure, elle est sacrée.

Les serrures 3 points sont dites de « haute sécurité », résistantes à toute tentative d’effraction, brevetées, non reproductibles, intégrées, carrelées… moches, froides, mais exigées par tous les assureurs.

J’ai refusé d’en installer une chez moi.

Alors, me direz-vous en souriant, vous avez posé une serrure dogon sur votre porte ?

Ne riez-pas, ne vous moquez-pas… J’en rêve, mais je n’ai pas osé en rapporter une des falaises de Bandiagara, les esprits du lieu ne voyagent pas.

La stèle

Sylvette Simon

Ma colère gronde

Quand je lis ton nom doré

Sur la stèle couronnée de buis,

Si froide et dure

Sous le tilleul de l’église.

Jeune résistant mort au printemps,

Tu ne cueilleras plus

Les framboises de l’aurore,

Le long des sentiers rocailleux.

Dans la salle sombre aux senteurs rustiques,

Le feu de l’âtre ne te réchauffera plus

Alors que la bise hurle sa folie

En raclant la terre gelée

Et que les bêtes bougent dans l’étable.

La jeune fille aux cheveux roux,

Virginaledans ses habits du dimanche,

Ne t’attendra plus à la croisée des chemins,

Près du calvaire des temps anciens

Et tu ne serreras jamais la menotte d’un enfant,

Toi, presqu’un enfant.

Alors que les rouages de ta jeune vie

Se sont brutalement figés

Et que tes yeux se sont fermés

Sur des rêves simples et beaux,

Je te dédie l’écume des torrents,

La tendresse étoilée de la mousse,

Le parfum d’un matin idéal…

Mais tout cela est vain.

Tu n’es plus rien,

Rien qu’un hommage dans mon cœur,

S’envolant comme une plume

Quand je lis ton nom doré

Sur la stèle couronnée de buis.

Lave orange

Pascale Charcosset

« Tu n’es éloigné de tes origines que de quelques millénaires »

Regarde dans le ciel, le temps des nuages.

Regarde sur le lac le sillon des reines.

Là où rêve le vent, l’éternité s’envole.

Là où chante l’indicible, la vérité jaillit.

Ouvre chaque matin une joie ancienne.

Trouve encore une joie, un futur sourire.

Y a-t-il un avenir ? Me dis-tu.

Oui parce que je t’entends par delà les siècles.

La colline noire du volcan va renaître bientôt.

Embrase le jardin de saules.

Étends une colère à leur pied.

Reviens dans les ombres des tilleuls.

Tous les chagrins ignorent les linceuls.

Insiste, donne leur une sixième chance.

Y a-t-il un amour ?

Je t’entends encore, j’ai dix siècles d’amour.

Taille les branches basses de l’épicéa, protège sa lenteur.

Dans le fouillis des rancœurs, tu as deviné un animal caché.

J’ai tout vu.

Tu avances si vite dans les ans.

Signe les orangers, il supplient le soleil.

Rien d’autre n’existe pour eux.

Casse leur terre orange une lave leur parlera.

Y a-t-il un inconnu ?

Je lis tes doutes.

Traverse la rivière.

Rassemble quelques galets lisses de blanc d’été, empile leur destin.

Ils te donnent une force nouvelle, C’est là que tu vois les siècles à venir.

Et ceux qui sont derrière toi, sont Andalous. Ils sont dans les rideaux de perles, les escaliers de silence, les mantilles noires sur les marches des églises.

Les pleurs n’ont pas d’âge.

« Souviens-toi, tu n’es éloigné de tes origines que de quelques millénaires .» 

A la manière de la Genèse : refaire le monde en 7 jours

Philippe Sardin

Alors le grand redresseur de torts appela Dormeur et Dormeuse et dit : « Il n’est pas bon de trop dormir. Le rêve prend le pas sur la réalité. Désormais vous serez éveillés au moins quinze heures par jour. Vos rêves s’alimenteront de ce que vous aurez vu, entendu et senti pendant les heures de veille et des joies et des peines des hommes et des femmes. Vous ne le regretterez pas. » Dormeur et Dormeuse dirent : « Certes, grand redresseur de torts, tu as raison. Nous ferons ce que tu as dit ». Ainsi passa le premier jour.

Au réveil du deuxième jour le grand redresseur de torts appela Grincheux et Grincheuse et dit : « Vos grognements, cris et récriminations déplaisent à mes oreilles et à celles de vos semblables. Votre sort est pourtant plus enviable que celui de beaucoup d’autres. Vos malheurs sont minuscules. Vous les amplifiez avec un plaisir malsain. Apprenez à chanter, danser, jouer de la musique. Rendez gais vous-mêmes et les autres. Vous ne le regretterez pas. » Grincheux et Grincheuse dirent : « Certes, grand redresseur de torts, tu as raison. Nous ferons ce que tu as dit ». Ainsi passa le deuxième jour.

Au réveil du troisième jour le grand redresseur de torts appela Atchoum et Atchoumette et dit : « Vos éternuements contaminent vos semblables. En ne prenant pas soin de votre santé vous mettez en péril la santé des autres. Faites de l’exercice physique, habillez-vous selon la saison. Quand vous toussez, mettez votre main devant votre bouche. Faites ainsi et dites aux autres de faire de même. Vous ne le regretterez pas. » Atchoum et Atchoumette dirent : « Certes, grand redresseur de torts, tu as raison. Nous ferons ce que tu as dit ». Ainsi passa le troisième jour.

Au réveil du quatrième jour le grand redresseur de torts appela Simplet et Simplette et dit : « Vos erreurs, bêtises et maladresses sont le fruit de votre manque d’attention et de réflexion et non pas d’un défaut de votre intelligence. Concentrez-vous, soyez attentifs, exercez votre mémoire. Prenez exemple sur ceux qui cent fois sur le métier remettent leur ouvrage. Faites ainsi et dites aux autres de faire de même. Vous ne le regretterez pas.» Simplet et Simplette dirent : « Certes, grand redresseur de torts, tu as raison. Nous ferons ce que tu as dit ». Ainsi passa le quatrième jour.

Au réveil du cinquième jour le grand redresseur de torts appela Timide et Timide et dit : « Orgueilleux que vous êtes ! Vous refusez de laisser paraître vos faiblesses devant les autres. Vous vous réfugiez en vous-même, satisfaits de ce que vous êtes. De l’audace, encore de l’audace ! Vos erreurs seront les étapes de vos progrès. Il n’y a pas d’innovation si l’on craint l’échec. Osez et dites aux autres d’oser aussi. Vous ne le regretterez pas. » Timide et Timide dirent : « Certes, grand redresseur de torts, tu as raison. Nous ferons ce que tu as dit ». Ainsi passa le cinquième jour.

 Au réveil du sixième jour le grand redresseur de torts appela Prof et Prof et dit : « Vous ne parlez qu’à vous-mêmes. Vous ne faites pas attention aux difficultés de vos élèves. En vous contentant de répéter ce que vous savez, vous ne progressez pas et n’aidez pas les autres à progresser. Ecoutez les questions de vos élèves. Vous découvrirez l’étendue de votre ignorance mais aussi la joie de vos efforts pour la combler. Vous ne le regretterez pas. » Prof et Prof dirent : « Certes, grand redresseur de torts, tu as raison. Nous ferons ce que tu as dit ». Ainsi passa le sixième jour.

Au réveil du septième jour le grand redresseur de torts fit le compte de ses travaux de la semaine. Il avait redonné toute leur place à la réalité, au plaisir, à la santé, à l’intelligence, à l’audace et à l’attention. Et il fut joyeux. Aussi quand il appela Joyeux et Joyeuse il dit : « Restez comme vous êtes. Vous ne le regretterez pas. » Joyeux et Joyeuse éclatèrent de rire ainsi que Dormeur et Dormeuse, Grincheux et Grincheuse, Atchoum et Atchoumette, Simplet et Simplette, Timide et Timide, Prof et Prof et le grand redresseur de torts lui-même. Ainsi passa le sixième jour.

Le huitième jour le jour le grand redresseur de torts recommença son travail car les promesses n’avaient tenu qu’une semaine.

Vivre !

Marie-France Perriol

Ce que je veux ?

C’est vivre intensément

Bouger, voyager, agir, rire, passionnément

Profiter du temps présent

Et rencontrer plein de gens intéressants.

Ce que je peux ?

C‘est commencer dès maintenant

A lire, écrire, peindre, visiter les continents,

Savourer le temps, rire,

Et rencontrer plein de gens, pour le meilleur, jamais le pire.

Ce que je dois ?

C’est, pour aller loin, ménager ma monture,

Bouger, voyager, agir, écrire,  en modérant l’allure !

Gérer le temps qui passe,

Et rencontrer plein de gens, avant qu’on ne trépasse.

Ce que je fais ?

Chaque jour, au soleil levant,

J’ouvre les yeux : je suis toujours vivant !!!!

Alors je bouge, je voyage, je peins, je lis, j’écris, je ris passionnément,

Je passe mon temps à rencontrer plein de gens, inlassablement…

Pourquoi les hommes ont-ils deux mains ?

Marie-France Perriol

—  Dis, Grand-père, pourquoi les hommes ont-ils deux mains ?

—  Ah, c’est une vieille histoire…. Ecoute, petit, je vais te la raconter.

Un jour, il y a très, longtemps, Dieu a créé l’univers puis a eu envie de le peupler. Il a inventé les plantes, les animaux, mais il manquait quelque chose….  Il a pris de la terre et a façonné une belle boule bien lisse, qui pouvait rouler une fois séchée au soleil. La Boule avançait si on la poussait ou si le terrain était en pente. Mais elle ne pouvait pas se mouvoir toute seule. Pour remédier à cet inconvénient, Dieu inventa deux jambes articulées munies de pieds, qu’il fixa l’une à gauche de la Boule et l’autre à droite, pour assurer sa stabilité. La Boule avançait, reculait, tournait, pouvait sauter ou s’arrêter pour se reposer. C’était un progrès incontestable. L’ennuyeux, c’est que, ne voyant rien, elle ne savait pas où se diriger et ne parvenait pas à éviter les obstacles. Dans son atelier, Dieu réfléchit et la dota de deux globes oculaires, un à gauche et un à droite, pour qu’elle puisse voir ce qu’il y avait autour d’elle. Ecarquillant les yeux, la Boule partit découvrir le monde. Elle marcha dans l’herbe verte, sur la terre ocre, sur le sable blond le long de la mer, sur la neige blanche des hautes montagnes. Mais Dieu n’était pas satisfait : Il ne savait pas ce qu’elle pensait.  Il l’emmena de nouveau dans son atelier et la dota d’oreilles pour entendre, d’une bouche pour parler, et aussi pour goûter. Aussitôt, la Boule s’adressa à son créateur. « Merci, mon Dieu. Maintenant je peux parler, chanter, manger ». Elle reprit l’exploration de l’univers. Au bout de quelques temps, elle revint à l’atelier et donna un coup de pied dans la porte afin que Dieu lui ouvre.

—  Qu’y a-t-il ? interrogea le patriarche surpris. 

—  Mon Dieu, voyez-vous, je peux voir les fleurs, mais je ne peux pas sentir leurs parfums ni les prendre. Dieu reconnut le bien-fondé de ces réclamations. Il lui posa un joli nez au-dessus de la bouche, entre les deux yeux, façonna un ventre en dessous, au milieu duquel il fixa un bras, terminé par une main munie de cinq doigts. La Boule n’avait plus du tout la forme d’une boule. Dieu décida de l’appeler « Homme ». Ravi, l’Homme remercia Dieu et s’en alla. Joyeux, il gambadait. Il lui arrivait même de danser tant sa nouvelle apparence lui plaisait. Il prenait les cerises avec sa main, les mettait en boucles autour de ses oreilles, approchait son nez des corolles multicolores pour humer leur parfum, caressait le dos des chats qu’il croisait sur son chemin.

Un an plus tard, il revint trouver Dieu. Il frappa à la porte de l’atelier.

—  Comment vas-tu, Homme ? demanda-t-il.

  • Mon Dieu, je m’ennuie, avoua l’Homme. Je suis triste d’être seul. Dieu trouva cette demande judicieuse et décida d’y remédier illico. Il façonna une autre boule. Pour la différencier, il lui ajouta deux petits seins, l’un à gauche, l’autre à droite.

— Tiens, voici une compagne, dit-il Appelons-là « Femme » et vivez heureux. L’Homme et la Femme remercièrent Dieu et partirent la main dans la main parcourir le monde.

Un an plus tard, ils revinrent frapper à la porte de l’atelier.

—  Encore vous ? dit Dieu. Qu’y a-t-il encore ?

—  Mon Dieu, dirent-ils en chœur, ça irait beaucoup mieux si vous pouviez arranger un petit détail. Un bras et une main, c’est bien, mais deux, ça serait beaucoup mieux : je pourrais l’enlacer et elle pourrait m’enlacer aussi. Avec deux mains, nous serions beaucoup plus adroits et performants qu’aujourd’hui. Dieu leur confectionna un autre bras muni d’une main avec cinq doigts et recula d’un pas pour juger de l’ensemble. Satisfait, il les renvoya et leur demanda de ne plus revenir, parce qu’il ne voyait pas ce qu’il pourrait encore améliorer. L’Homme et la Femme remercièrent Dieu et s’en furent, bras dessus, bras dessous, donner naissance à l’humanité. Depuis, plus personne ne connaît le chemin de l’atelier

Le disque s’est arrêté

Marie-France Perriol

Elle attend, assise devant la grande baie vitrée.

Elle l’attend, comme si, en fixant la rue qu’on devine derrière les rideaux légers et translucides, il allait arriver plus vite, tout de suite.

Elle l’attend, un verre à la main. Peut-être s’est-elle dit que se servir allait le faire venir, l’heure de l’apéritif étant passée depuis longtemps déjà.

Elle attend, seule dans la pièce qui commence à s’obscurcir. Bientôt, il faudra allumer le lampadaire.

Elle attend, immobile, dans un fauteuil recouvert d’un tissu blanc, les pieds chaussés de talons aiguilles reposant sur un tabouret de velours cramoisi.

Elle l’attend, comme elle l’a toujours fait, chaque jour, depuis son mariage, il y aura dix ans cette année.

Elle l’attend, et s’est maquillée soigneusement, a mis la jupe qu’il aime, le pull qui lui va si bien. Elle a attaché à son bras le bracelet qu’il lui a offert pour son anniversaire.

Elle attend, son regard ne quitte pas la fenêtre mais elle ne voit ni la rue, ni les ombres qui s’allongent et ocrent les murs du salon. Elle guette le bruit des pas, de la clé dans la serrure, mais rien ne trouble le silence.

Elle attend, sans un mouvement, dans la tiédeur de ce mois de septembre. Sur le phono, le disque s’est arrêté mais elle ne pense pas à le changer.

Elle l’attend, comme tous les soirs. Il va rentrer, souriant, heureux de la retrouver après une longue journée de travail. Peut-être iront-ils dîner au restaurant ? Ou bien souperont-ils après avoir regardé le dernier film de Dujardin ?

Elle attend, parce qu’il n’y a plus rien d’autre à faire. Ses bagages sont terminés. Elle a recouvert les meubles de draps blancs pour les protéger de la poussière.

Elle attend l’heure d’aller se coucher pour la dernière fois dans l’appartement qu’elle quittera définitivement demain, où ils ont vécu dix ans, où ils se sont aimés et où elle se trouve seule ce soir.

Elle attend. La nuit descend peu à peu, comme tombent ses illusions et les larmes le long de ses joues, invisibles dans la pénombre.

Elle l’attend, le buste raide et la tête droite, prête à se lever et courir l’embrasser, ignorant la petite voix qui murmure : « il est parti depuis un mois déjà et il ne reviendra pas ». Elle l’a tant attendu que son corps glacé s’est figé. Elle n’est plus qu’une ombre, immobile dans une pièce presque vide, seule, devant une grande fenêtre où on devine la vie derrière les rideaux blancs