Un détour par Arnas, dans le Beaujolais.
« La Petite »
Claudine Genet
Elle ne s’appelle pas, elle ne s’appelle plus. Son nom, plus personne ne le prononce dans le village. Elle est la Petite.
Un jour, elle a découvert l’océan, impressionnée par ses vagues. Elle laissait la fenêtre de sa chambre ouverte et elle respirait avec lui.
Un jour, elle était sagement assise entre père et mère sur la plage.
Un jour et un autre jour, ainsi jusqu’à la fin des vacances et les sui-vantes, le plus souvent sans son père.
Un jour, fluette dans sa petite robe fleurie, sautillant comme ces enfants qui portent en eux la joie de vivre. Les gens du village l’ont connue comme ça, la Petite.
Un jour, elle tenait la main de sa mère, elle s’échappa et rejoignit ses amies, des filles du village. Elle était la plus jeune et Chloé l’ainée, Cora avait déjà la fibre maternelle et Léa jouait l’indifférente.
Un jour, les gens du village ne l’ont plus vue courir sur la plage et se jeter dans les vagues avec entrain.
Un jour, elle a choisi de suivre ses études dans la même ville que Léa. Elles ont pris une colocation.
Un jour, elle a coupé ses cheveux pour faire plaisir à son amie.
Un jour, une soirée, jupe rouge et débardeur près du corps, elle dansait avec Léa, elle dansait inondée de plaisir, sur une musique déchaînée.
Un jour ou plutôt, cette nuit-là, elle est rentrée chez elle avec son amie.
Au jour, elle était deux dans son lit. Son corps satisfait, ses bras autour, son visage contre son cou.
Un jour, elle a pleuré, ses yeux bleus ont viré au gris. Son père l’obligeait à rentrer à la maison. Elle s’est demandé où était sa maison.
Un jour, elle s’est tu et sa mère a insisté sans succès, pour rien.
Un jour, elle a retrouvé ses amies : Chloé, Cora et Léa. Elle a passé tout l’été avec elles. Elle a bruni, ses cheveux ont blondi. Elle est devenue experte en pêche aux moules et aux coques avec l’aide de Léa.
Un jour, elle a pêché en mer avec un vieux marin, le père de Chloé, et Léa bien sûr. Silencieux, il était aussi son confident, comme pour Léa.
Un jour, diplôme en poche, elle s’installa dans la maison de la grand-mère de Léa.
Un jour, elle se boucha les oreilles, elle refusait d’entendre son père dénigrer ses amies, surtout Léa, dans sa grande maison au-dessus de l’océan.
Un jour, elles sont allées sur l’île, à une demi-heure de la côte avec le bateau du vieux marin. Chloé était devenue marin, elle aussi. Léa est restée à l’avant, elle regardait l’océan, comme si personne d’autre n’existait.
Un jour, elle s’est senti très seule. Léa est partie faire le tour de l’île sans elle. Elle n’a pas compris. La soirée passée autour du feu, elle s’est couché solitaire.
Un jour, au lever, elles étaient trois. La Petite avait disparu, ainsi que l’annexe qui servait à rejoindre le bateau.
Un jour, les gens du village ne l’ont plus revue. Son père les a maudits et Léa, encore pire, du haut de son rocher.
Chloé navigue sur les mers, Cora s’est installée avec son mari et Léa parcourt le monde. Elles attendent le retour de la Petite.
« Un jour »
Annie Maréchal
Un jour Pépé, assis derrière la fenêtre, vêtu du pullover Tricoté et rapiécé par mémé,
Un jour où il lit le journal déposé la veille par les voisins.
Un jour différent, pépé ronchonne, il supporte mal la chaleur même après
Une longue sieste.
Un jour, pépé ne peut se lever, sa canne est tombée, la fenêtre reste fermée.
Un jour pépé se sent seul, mémé est allée au cimetière, il n’aime pas que mémé s’absente.
Un jour sans jardinage, (c’est comme un jour sans pain dit-il !), pépé soulève son béret
Et aère son crâne, s’essuie le front avec un large mouchoir à carreaux.
Un jour qui entend la grogne de pépé, un jour qui pèse.
Un jour qui le cloue à sa chaise, il s’ennuie, la radio est éteinte personne pour tourner le bouton inaccessible
Un jour, Pépé entend un randonneur qui frappe et demande de l’aide.
Un jour où Pépé en manque d’amabilité et d’énergie ne réalise pas.
Un jour Pépé a laissé la bouteille de son propre vin, entamée, sur la table, une mouche s’amuse
Sur la toile cirée décolorée.
Un jour où Pépé et le randonneur partagent le verre de vin légèrement aigre
Un jour qui coupe la routine estivale et pépé boit, ses moustaches rougies
Gouttent sur le pullover.
Un jour ses pieds enflent, Pépé délace son unique paire de chaussures, ressemelées par ses
soins et portées hiver comme été.
Un jour d’été orageux, mémé est revenue, Pépé n’est pas rasé.
Un jour où mémé prépare un gros potage, elle prétend que la quantité attire les invités,
Et pépé s’étonne : « ce ne sont que des balivernes »
Un jour où une forte pluie s’abat sur la route qui passe devant la maison, un arc en ciel se forme aussitôt.
Un jour où les enfants sont en vacances, l’arrière-petit-fils de pépé arrive.
Un jour d’émotion, pépé éteint sa pipe, son sourire étroit écarte sa moustache.
Le mouchoir à carreaux sèche la goutte qui coule sur la joue.