« Traces d’Irlande »

Christian ZIMMERMANN

[Extrait]

Tu marches, tu marches gravissant la petite route qui serpente entre les collines pelées. Tu n’as pas cessé de marcher sous une pluie fine. Elle poisse tes vêtements pourtant recouverts d’une large pèlerine où s’engouffre parfois un vent coulis aqueux. Poisse jusqu’à ton âme.

Tu ne sais pas où tes pas te conduiront. Juste une vague adresse. Un point perdu sur la carte, vers lequel tu crois te diriger.

Quelques heures plus tôt, un bus t’a déposé à une croisée de routes. Depuis, le rythme lent de tes pas scande sa musique dans ta tête.

Autour de toi, les formes molles des collines s’estompent dans l’humide, comme épongées. Chacune des averses brouille un peu plus les lignes.

Tu marches dans le gris, dans d’infimes nuances de gris. Elles t’imposent leur douceur jusqu’à l’angoisse, jusqu’à ce que, de temps à autre, affleure une inquiétude sourde, lancinante.

« Trouverai-je un gîte pour la nuit ? ».

Alors, tu pousses ton pas, tes battements de cœur s’accélèrent. Tu voudrais voler pour atteindre ton but. Ce but perdu dans le brouillard, perdu dans cette moiteur qui te prend à la gorge. Au début, l’allégresse d’une liberté sans limites. Mais très vite cela te revient en leitmotiv.

Tu le sais, il y a dans ce moment comme un défi que tu te donnes. Surmonter ta peur en allant droit devant. Mais tes vieilles peurs, tu ne les as pas vraiment domestiquées. Elles surgissent là où tu ne les attends pas, du fond de ton être. Elles libèrent leur ménagerie folle. Tu as beau te raisonner, elles s’agrippent à tes basques.

Ton sac pèse de plus en plus sur les épaules. Envie de stopper net. De laisser hurler ta solitude comme un loup cerné par une meute.

Tu te mets à chanter à tue-tête. N’importe quoi.

Et tu te souviens de la scène qui t’a saisie aux tripes par une nuit de St Sylvestre dans une salle d’attente avant le départ de ton train pour l’Italie. Une nuit glaciale où deux hommes à la dérive, deux amis, se sont mis à chanter tous les standards du rock qu’ils possédaient, pour se donner le courage qui leur manquait.

Tes pieds sont douloureux, chauffés à blanc dans tes chaussures mouillées, tes mollets durcis par l’effort dans ton pantalon détrempé. Tu en viens à maudire cet endroit qui a nom nulle part.

Pas après pas, tu hurles ta chanson, pour ne pas faiblir.

Fouetté par les embruns, bousculé par les embardées du bateau résistant aux fortes houles prenant d’assaut le bâbord, tu parviens au terme de ta traversée dans l’île. Tu remontes lentement l’unique rue qui part du port, ton guide à la main. Tu trouves la modeste maison de pêcheur de ton hôtesse.

Elle t’accueille avec son regard bleu, d’un bleu transparent comme délavé, un sourire léger. Le sourire de la vieille dame est encadré de rides incrustées dans une peau tavelée. Elle t’accueille avec cette voix pleine de feutre que tu as peine à comprendre.

Tu sais que tu seras ici chez toi, l’espace de ton court séjour dans l’île. Dans la petite chambre t’attend le lit avec son gros édredon. Promesse d’un sommeil lourd et sans rêves

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