Geneviève Tavardon

– Avez-vous quelque chose à ajouter ?
– Non,
– La parole est au Président.
– Les jurés vont délibérer, le procès reprendra dans une heure.
Je tends les poignets aux gendarmes, ils mettent les menottes, je me retourne, sors de la salle d’audience, encadrée.
Assise sur un banc en bois clair dans la salle n°4, je demande à mon avocate, maître Leblanc, de me laisser seule un moment, enfin seule est un mot mal choisi puisque les deux hommes en fonction sont réquisitionnés jusqu’à mon retour à la prison Sainte- Anne.
J’observe cette pièce lambrissée, elle sent la transpiration, la serpillière gris sale, à côté de la porte, le papier froissé d’un bonbon à la menthe la Pie qui Chante, dans un angle du plafond, une caméra ; je fixe la petite vitre ronde et bleutée, je baisse les yeux, mes paupières sont lourdes, une larme coule de mon œil gauche.
– Baissez les yeux, Madame Dupontel, votre regard narquois est insupportable !
– Elise Dupontel, je vous demande d’aller chez la directrice, et d’une, vous mentez et de deux, vous êtes ironique
Au procès, ils étaient comment vos yeux ? Ils ne m’ont pas fait mal peut être ? Les mines accusatrices, les visages compassionnels ou scrutateurs, aux moindres faits et gestes, vous auriez aimé que je m’effondre, que je hurle, que je pardonne.
J’étais droite, le regard attiré par un chemisier à la texture légère – peut-être de la soie – imprimé de poissons rouges, je vous suis reconnaissante Madame de la dame du fond de la salle d’audience, d’avoir adouci ma peine, de la main droite j’ai caressé le mouchoir blanc brodé d’un feston.
Au cours préparatoire, je portais le trousseau de clefs au cou, celui ci m’empêchait de courir, il tapait contre la poitrine, tombait dans les bosquets, une fois j’ai cru ne pas le retrouver, j’ai cherché dans la gargasse, autour ; il était à côté d’une pierre. Je l’ai tenu dans la main tellement fort que j’en ai eu les doigts endoloris. J’ai tellement pleuré, tante Agathe m’avait donné ce mouchoir brodé, il attendrirait mes chagrins.
Au collège, le trousseau était dans le cartable, le soir il n’y avait plus que maman à la maison, papa avait eu un accident à la fonderie d’Epierre. Le directeur de l’usine était Àen personne, pas de téléphone au village des Sordières. Papa était mort des suites de ces blessures comme ils disent, cette blessure maman ne s’en est jamais remise, elle est devenue triste comme un jour sans pain, moi je me suis fait grande pour de nouveau la faire rire.
À seize ans, je suis allée travailler à l’usine de ma mère, trop agitée pour les études, disaient les professeurs.
Oui, un soir, j’ai attendu que le personnel parte, oui j’ai pris un trousseau de clefs dans le deuxième tiroir de gauche du bureau, oui j’ai pris les enveloppes de payes des ouvriers de l’atelier. L’argent liquide je l’ai engouffré dans la poche intérieure du blouson et je l’ai remis à maman pour qu’elle puisse installer un bon chauffage, pour que toutes les deux nous puissions partir en vacances loin, loin près du soleil.
« Partez en avion, destination les Seychelles, vous ouvrez les clefs du paradis ».