« Testament d’un Chartreux Bouddhiste « 

Chouski MARICHAL

Nous léguons tout ce que nous possédons à la douleur du monde. Voici nos derniers mots : Nous avons fait vœu de silence. Faire silence, vivre en silence, vivre dans le silence. C’est un engagement, sur une voie silencieuse.
Pour :

  • Infléchir le fracas des armes,
  • Frémir du hurlement des martyrs,
  • Recevoir les pleurs des affligés,
  • Respecter la plainte du petit,
  • Porter le faible,
  • Soutenir l’opprimé,
  • Laisser la parole aux censurés,
  • Expier les mots trop lourds, les mots trop vides,
  • Respirer l’air qui vibre de tous ces sanglots,
  • Panser les blessures de la condition humaine,
  • Entendre les pleurs et les grincements de dent,
  • Recueillir les larmes à leur source jamais tarie,
  • Accueillir les désespoirs dans l’immensité limpide d’un univers de silence,
  • Offrir à la souffrance du monde un écrin de respect.

Silence : Nous ne parlons plus. Nous ne faisons plus de bruit. Nous ne créons plus de sons. Nous marchons en silence. Nous mangeons en silence. Nous respirons en silence. Nous offrons notre silence. Oraison muette, écoute attentive du murmure des étoiles. L’âme tendue vers la supplication de la multitude, en communion avec l’affliction du monde. D’hier, d’aujourd’hui et de demain, d’ici et d’ailleurs.
Silence dans nos têtes, silence dans nos âmes.
Paix au vacarme intérieur.
Aucune lecture, aucune écriture, silence de papier.
Silence des objets, même eux ne parlent pas.
Bienheureux silence des corps, santé, sérénité.
Capter les sons les plus ténus, sans les nommer.
Ecouter les sensations les plus subtiles sans les nommer.
Observer les êtres, les objets et les concepts sans les nommer.
Quitter les mots. Oublier nos mots, oublier les mots, de quelque peuple qu’ils viennent : revenir à la genèse des choses avant que l’homme ne les nomme.
Le silence lui-même n’a plus de nom. Vivre dans ce silence où se brode l’infime son du souffle de la vie.

Tout a été dit, revenir au silence.
Une fois par an, au solstice d’hiver, sous la hauteur glacée de la voûte de pierre, nous chanterons le De profundis.
En une profonde et grave clameur, nous enverrons vers le ciel l’écho de ces douleurs.

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