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Ta voix

Eliane Michalon

Dans la nuit la voix est douce et câline, je l’attendais dans mon sommeil, aussi douce que le geste lorsqu’il m’emporte dans le lit de ma mère.

Il rit, un rire franc et sonore à gorge déployée pour tout ou presque rien, pout un sketch de Fernand Raynaud, l’accent de la voisine.

Il y a la voix des contes, des histoires racontées ou inventées les après-midis de siestes, la voix devient agile avec le renard, pataude avec l’ours, fluette pour le petit chaperon rouge, chevrotante avec la grand-mère.

La voix qui se fait rare dans les périodes de tensions, parfois durant plusieurs jours, ses proches ne l’entendent plus, sauf moi.

La voix tendresse lorsqu’il donne des chocolats, des fraises à « sa petite grabote »

Dans les moments de colère la voix est sèche presque blanche, des mots de patois s’échappent, des jurons. Il jure beaucoup, quand il est mécontent, quand il bricole et que les objets lui résistent, des paroles sacrilèges le nom de Dieu résonne avec éclats en français, en patois.

La voix malice sous la fine moustache quand il imite, se moque, fait des blagues.

Dans le jardin, quand il taille la vigne, plante, sarcle il siffle gaiement, mélodieusement, comme un rossignol, de ses lèvres fines, il lance ses trilles. 

La voix courroucée dans de rares moments d’indignation, de colère, parfois menaçante accompagnée d’un poing fermé « si je l’attrape » …  Et dans ce cas il vaut mieux s’éloigner.

Brisé par l’émotion, la voix devient larmes qu’il ne cherche pas à cacher.

Lentement, insidieusement la voix perd en puissance, moins sonore, tandis que l’interlocuteur doit hausser le ton.

Les années qui passent, des êtres chers qui s’en vont, la voix tristesse, la voix mélancolie moins sûre d’elle, celle qui cède plus vite devant l’adversaire.

Sous la tonnelle, lui assis sur la table en ciment, moi en face sur le banc de bois repeint tous les deux ans, la voix bonheur, la voix amour sans rien demandé en échange « Alors ma fille raconte »   

Pour retrouver ta voix, je n’ai que ma mémoire, pas d’enregistrement, pas de film, elle s’estompe peu à peu, il y a si longtemps, je dois l’arracher à l’oubli, reste ta voix tendresse, ta voix patois, les expressions anciennes, populaires, les jeux de mots, le parler lyonnais et puis ton rire rond, franc, réconfortant.

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