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Surcharge

Céline DURAND

                            

Moi, carton blanc plus solide qu’une feuille volage de papier blanc où l’écriture se tue en mots pour ne satisfaire qu’un vide dans les entrailles. Dire l’horreur boréale, quand, tant espérée, l’aurore boréale phénomène miraculeux débordant du divin, s’explique savamment par des études scientifiques poussées, des probabilités, des explications météo qui en défendent toute magie. Étalé sur une table, poussé par des démons qui surenchérissent encore à se trouver magiques. Triste affublage que la rencontre procure. Se retrouver nu quand vient l’orage, couché dans une nature morte, immobile, saisi comme un objet que l’on cuisine pour mieux passer à table. Un décor qui use et, rempli, déverse ses états d’âme, flux de mots alanguis, savoureux qui jamais ne procure la volupté promise. Silence des corps et de la bouche quand le monde entier déborde de sympathie pour ceux qui, allègres, supportent une masse molle et collante perdue dans des labyrinthes sans issue. Joie du sarcasme quand je tais ma colère. Déchirer plutôt que couper, des images sans paroles pour langer l’enfant triste et perdu. Une peau claire qui imprime en godets les surplus d’affluences que je ne peux plus gérer, moi, carton dépositaire d’une voix que l’on écoute pour mieux la taire. Un silence long et laborieux, un cheminement où chacun imprime sa griffe traquant l’ennui au fond des galeries longues d’un cerveau en manque d’oxygène. Tournant, retournant ses possibles dans un collage stupide où tout s’affirme plutôt que prêter voix. Dîners offerts aux vents et aux bourrasques. Impalpables et sans preuves, les cure-dents germés comme des piques où chacun y va d’un geste, maniement des couteaux et des fourchettes pour un repas qui dure. Pousser un cri que l’on n’entend pas, ou encore parler, manifeste d’un ordinaire où les plats si bien servis circulent sans jamais s’arrêter. Ils se vident, remplissent des estomacs généreux, forts de leurs appétits féroces. La serviette en coin de bouche efface les miettes du festin. Un corps coi vit de la météo. Un vent passe, glacial, soulève l’étoffe d’une robe quand le nu sous la loupe ramène à la lumière les courbes et les mollesses. Larve juchée sur une chaise, l’aboutit n’existe pas. Une usure. Un replay qui jamais ne se résout. La valise se prête au fond d’un long voyage. Je la laisse en bord de page. La main ne s’y prête pas, collée là par un stick sans émois. Refus. Peur. La cisaille n’est pas loin, l’œil et la loupe décrochent le regard. De bois, poussant encore, desserrant la pression, attentant par sarcasmes, dents de loup, mantes religieuses, coupent, mâchent, dévorent, poussant aux sacrifices une vie en laisse qui ne veut pas, et qui, dans un sursaut, espère une aurore boréale dont l’image irréelle, sans cesse repoussée, paraît prometteuse dans un autre lieu, dans une autre contrée, dans un ailleurs que ce corps mou et flasque, nu, recroquevillé sur lui-même ne voit qu’à sa hauteur. Langé  par des mains généreuses, il se refuse encore de tenter. Sa petite vie dépendante raconte une autarcie. Respectueuse insatiable, brimée comme une enfant. Sans même faire caprice, oubliant d’être précieuse à elle-même. Une maltraitée solitaire occasionne sa punition comme une victime. Les deux doigts sur la bouche, la bête tend son regard vers l’autre, tente encore quand les dos se tournent, affichant haut leurs épaules, plastrons bombés, ces faiseurs d’ordres referment leurs étreintes, serrent, desserrent, serrent desserrent. D’un mouvement de diaphragme une longue plainte n’y suffirait pas. Une usure. Et la surcharge sur mon carton, si vous voulez bien voir, sature. Pas de blanc. Pas d’innocence, désignant le mauvais, le coupable, outrepassant les droits, les lois, fidèle encore aux dieux et à leurs bons vouloir, se crée une affolante mascarade. Je dis bien, moi, carton sans cervelle que le bout paraît loin, l’horizon indistinct. Chaque blanc effacé, couvert, reconstruit, a modifié l’image originelle, niant le blanc et ses possibles. L’œuvre accomplie ne revient pas à la javel. Les jeux sont faits. Le beau, le neuf, le nouveau n’existent plus. Un sourire plié en quatre résiste. Lassitude des convives.  Est-ce moi, carton, qui ne vous vois pas où vous autres qui ne voulez plus me voir ?

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