« Prendre le temps de flâner »

Michèle O’NEILL

D’abord, avant le départ, s’arrêter à la source, écouter le chant de l’eau, suivre des yeux les gouttelettes qui sautillent sur le feuillage. Puis descendre le sous-bois inconnu. En silence. Enfouir sa peur dans la poche, le mouchoir par-dessus. Découvrir que le silence est plein. C’est un immense orchestre. Vacarme de bourdonnements d’insectes ponctué du croassement de trois corbeaux, du ronflement crépitant d’une motocyclette, d’une porte qui grince derrière soi, de pépiements d’oiseaux, du cliquetis des crickets. Le bruit des pas qui reprennent.

En contrebas, un moutonnement de vaches blanches autour d’un abreuvoir en ferraille. La danse de leurs queues et de leurs oreilles, comme si elles battaient la mesure. Le clapotis de la bouteille d’eau sous le bras, un toussotement tout près. La scierie qui grince. Sous les pieds, le sol change, parfois pierreux, parfois herbeux, parfois sableux, comme la vie avec ses duretés et ses douceurs. Le corps immobile palpite de joie. La vie y tourbillonne comme elle tourbillonne au-dehors.

Je regarde les nuages et je retrouve mon âme d’enfant. Ballet silencieux de papillons multicolores au-dessus des vagues immobiles de foin coupé. Un arbre, tranché à demi, veille à l’entrée du champ d’orties protégé par une barrière de bois. A-t-on compris que ce légume au goût d’amande, si riche en vitamines, est plus précieux que tout champ de pétrole ?

Au-dessus de lui, juste au-dessus, galope un dragon blanc. Et maintenant, c’est le visage au long nez d’un vieil homme étendu. Une masse informe. Rien ne bouge. C’est un chien accroupi aux pattes allongées devant lui. Il ouvre la gueule. Chante-t-il ?

Soudain le sous-bois pentu semble s’arrêter, clos d’une barrière au niveau du troupeau de vaches aperçu tout à l’heure. De longues branches cassées dessinent des formes sur le versant du chemin, un rocher sculpté apparaît. Pourquoi le troupeau s’éloigne-t-il lorsque je l’approche ? Il quitte l’ombre. Quelques bêtes tracent un arc d’urine derrière elles ou un autre… plus noir. Seul, un veau continue de me regarder. Léger meuglement puis il rejoint les autres — Je pense à ma mère terrifiée par les vaches. — Qui terrifie l’autre ?

Il n’y a pas de barrière mais un autre sentier. N’est-ce pas ainsi dans ma vie ? Des illusions de barrières qui s’évanouissent quand je viens au plus près ?

Je fais silence en moi. J’écoute. Bruissement d’un nuage de mouches. Ronronnement d’un avion. Chuintement d’un ruisseau. Il m’attire. Tout au long, des buissons de mûres encore vertes, quelques-unes en fleurs, promesse d’un régal d’automne. Des papillons voltigent, indiquent la route du retour. Chemin de droite ou chemin de gauche ? Comme dans les contes. Le soleil brûle la peau. Une mosaïque de chatons séchés calligraphie quelque message secret. Est-ce pour me dire qu’il faut garder espoir ?

Coquelicots et bleuets ont repoussé sur les champs de la Somme. Le gingko biloba a survécu au déferlement atomique. La passion destructrice de l’homme n’a pas été la plus forte. Ne pas oublier les fleurs sauvages entre les pavés des rues. Monsanto et consorts ne détruiront pas la terre des petits-enfants.

À nouveau le chant de la source dissimulée sous le feuillage m’accueille. Elle dit la douceur de vivre. Ce cadeau.

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