Michèle Martinetto
Non pas un récit qui commence et qui va vers sa fin. Non pas une marche vers un but espéré, un hiver que féconde un printemps. Mais un chemin qui s’enroule sur lui-même et disparaît dans quelque labyrinthe. Non pas quelqu’un qui est quelqu’un et qui sait où il va. Il avance dans un temps qui se love sur lui-même et qui se tait. Il prend la route, il avance dans une campagne familière. Non pas une foule qu’il traverse et qui le porte, mais des visages simples et amènes, des amitiés d’un jour lourdes de paroles. Il part et la route se déroule sans lui. Non pas les paysages attendus, connus, programmés, il a voulu voir ce qui n’avait jamais été vu. Non pas la carte qui se déplie et où le doigt pointe le lieu que l’on cherche. Il longe des fleuves dont on devine à peine l’autre rive, il embarque sur des navires dont il ne connaît pas la destination, et les matelots qu’il interroge ignorent la langue qu’il parle. Non pas quelqu’un qui écoute et qui raconte, non pas des mots familiers, des mots qui ont sens. Il arrive dans un désert qu’il n’attendait pas, suivant les traces d’antiques caravaniers qui le soir partageront avec lui le thé à la menthe. Mais pas un trésor caché quelque part dans le creux des dunes. Non pas une route balisée, mais un univers en mutation, un chemin qui se distend, se déforme, s’effiloche, un sol qui devient sonore et lumineux, dans des paysages flous où les arbres portent fleurs et fruits, où la terre génère du pain. Non pas un temps régulier, scandé par le jour et la nuit, mais des jours qui deviennent plus longs, s’étirent, des jours où il marche sans fin vers l’inconnu pressenti, dans un brouillard illuminé de phosphorescences étranges, dans une forêt où des arbres gigantesques serpentent en racines vivantes. Non pas le monde concret, solide et rassurant, mais un monde qui ne ressemble à rien de connu, non pas un monde hostile et dangereux mais seulement autre, non pas une vie déjà vécue. Non pas l’arrivée dans un univers habité d’hommes ses semblables, mais un voile qui se déchire. Se réveiller dans un rêve, non pas le rêve qu’on rêve, peut-être se réveiller dans le rêve d’un autre.