Michèle O’Neill
Au marché de Wissant du mercredi matin ; première sortie avec une seule béquille ; soleil de plomb ; cloches de l ‘église sonnant onze coups ; pas un coin d’ombre sauf un arbre rabougri ; s ‘arrêter pour humer un zeste d’air frais de la mer ; à laisser venir les images ; c’était il y a 60 ans ; petite fille sautillant rue Radisson ; rue aux maisons grises ; en direction du marché du samedi matin ; le même sentiment d’aller et venir à sa guise ; à humer les herbes aromatiques ; renifler les melons rebondis en les soupesant ; à goûter les cerises charnues qui dégoulinent de jus ; à palper les abricots trop durs ou trop mous pourrissants ou à point délectation ; à écouter le babillement des clients ; à sourire au badinage des marchands ; promesse de joyeusetés qui galvaniseront béquille et pieds tout excités ; plus tard se mettre à l’abri devant l ‘étal du marchand d’olives ; à déguster celles au poivron ou aux anchois, à hésiter entre les noires et les vertes, à ne pas se laisser distraire par les fruits secs ; à lire le nom du marchand sur la grande toile derrière lui ; à rêvasser autour du mot Barran ; le bus du circuit qui s’arrête devant ce marché perdu d’un village turc ; l’étal du marchand d’olives, Barran aussi ; et moi qui me précipite pour voir goûter comparer ; le troupeau de touristes qui suit ; chacun reconnaissant légumes ou fruits ou s’immobilisant dubitatifs ; les vendeurs étonnés l’œil allumé ; le pauvre guide essayant de rassembler ses ouailles ; s’époumonant d’un c’est pas la visite ; une odeur de poissons venant chatouiller les narines ; retour au marché de Wissant du mercredi matin ; sur la nappe blanche dans des cageots rafraîchis de glaçons s’offrent moules de pays côtoyant soles de toutes tailles frétillantes crabes et crevettes à profusion ; derrière se dresse une femme en bottes et tablier jaune vantant son poisson pêché de la nuit ; comment m’empêcher d ‘évoquer le marché de Rangoon en Birmanie ; les vendeuses assises royales sur leur étal trônant au milieu de multiples poissons inconnus ; essayant sans doute de convaincre le chaland que son échoppe est la meilleure du quartier ; un camion klaxonne ayant déjà remballé ; c’est l’heure de se presser vers vendeurs de légumes et de fromages repérés au cours de cette déambulation ; retour à la voiture le sac à dos rempli de trésors.