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Mains

Michèle Martinetto

Ces mains-là, à hauteur d’enfant, c’est toute la terre. Burinées, fendillées par la poussière de ciment, craquelées comme le sol des pays de sécheresse, sillonnées de veines serpentant en fleuves bleus de sang, en fleuves d’eaux vives sur la peau brune, doigts bossués où creuse l’or de l’alliance. L’enfant regarde ses mains à lui et rêve de la main du père quand elle était lisse et blanche, le jour où l’alliance toute neuve s’est passée à son doigt. Le jour aussi où elle a tenu pour la première fois la pelle, la truelle, le niveau, la massette et le burin, la main qui glisse sur la pierre, qui modèle les formes, démoule les plaques de ciment, lisse les sols de mosaïque bâtit les escaliers – marche , contremarche, ajustées au regard et au frôlement de la paume – . La main aussi qui pétrit la terre grasse du jardin, arrache la longue racine blanche des liserons, trace les sillons, dépose une à une les graines et tasse du poing la terre par-dessus, porte l’arrosoir qui féconde le sol d’une bruine légère. Mains qui se posent sur les cheveux de l’enfant, tirent un peu dessus pour rire, qui caressent la fourrure grise du chat ronronnant de plaisir. Main puissante levée dans l’interdit ou la protection, main que l’on cramponne sur le sentier à pic le long des pentes vertigineuses. Main blessée où le sang se fraie un chemin hésitant entre les lèvres ouvertes par le couteau et se dilue dans l’eau de la fontaine. Mains qui furent si petites, si douces, fermées dans un poing endormi. Mains qui un jour reposent inertes, exsangues, paisibles sur la poitrine muette.

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