Il n’a pas toujours été gros le Gros Gégé. Son embonpoint s’est installé vers la cinquantaine autour de la taille, puis peu à peu il est devenu énorme.
Il a été beau le Gros Gégé, mince, élégant dans ses costumes de ville ou dans ses uniformes militaires. Une mise débraillée ne l’empêchait pas d’être séduisant au temps de ses débuts sur nos écrans. Il avait une dégaine, loubard ou policier selon le scénario.
Il a une gueule. De jeune premier à vieux barbon, elle s’est affirmée. Les méandres tortueux de la vie lui ont alourdi les traits, le Sancerre, déformé le nez, un verre complice et salvateur si souvent dans sa grosse main.
Il a une voix troublante, émouvante, touchant l’âme. Elle a suivi d’autres méandres, protégée par la grâce. Elle demeure l’enchanteresse aux services de la belle langue, dissociée de ce corps massif, elle est légère, subtile, juste.
Il a même écrit le Gros Gégé, des lettres sublimes à celles qu’il aime, des dames jolies et célèbres, ses partenaires d’alors : Catherine Deneuve, Isabelle Adjani…
Il leur a écrit des lettres d’amour – merci.
Il a écrit à sa mère, des lettres d’amour – incompris, à son père des lettres d’amour – manqué.
Il a écrit de l’autre côté de soi, vers la reconnaissance, le partage, la richesse de l’autre, délaissant Eros pour Agapé.
Il a lu ces lettres, sa belle voix et ses mots enchevêtrés me rappellent un long frisson.
Il aime la littérature, elle l’a sauvée de la rue et sa violence, il la vénère, mère nourricière et salvatrice.
Il a été le complice de la grande Duras, un beau duo, étrange et troublant. Il a mis sa voix juste, au service de son style haché. Il lui a donné corps, un supplément d’âme et de réalité.
Il est encore au rendez-vous de films où il en fait trop, au diapason de ses kilos tel ce Balzac ventripotent et jouisseur.
Toute la caste cinéphile l’attend en DSK. Comment va-t-il habiter ce personnage ?
Il est espéré sur la scène des théâtres, le public suspendu à sa voix. Cette voix nous relie à notre humanité, à la beauté des textes, et résonne avec notre âme et celle de tout le public touché par la grâce.
Il est parti se faire voir chez les Belges le Gros Gégé, la bière y est bonne. La vodka plus encore, alors il est allé plus à l’est, moine Raspoutine en quête de sa vérité.
Le fric, la Une des journaux, sont des écrans de fumée lancés tels des SOS par le Gros Gégé pour continuer à vivre, colmater les brèches, fuir ses blessures secrètes, qu’on devine obsédantes.
C’est sans doute pour cela que je l’aime, le Gros Gégé.
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