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Le Fleuve

Ana SURRET

           TUMULTE

1 – Rendez–vous sur la passerelle

– Comment veux–tu que je m’en sorte si tu ne m’aides pas ? Questionna Mathilde.

– Pourquoi est–ce que je t’aiderai ? Si tu te trouves dans cette situation, c’est bien que tu l’as voulue, rétorqua Marc en regardant l’eau couler sous la passerelle.

– Ce n’est pas vrai, je ne suis pour rien ans toute cette histoire, j’ai seulement dit à Josiane que je pouvais l’héberger une nuit ou deux et voilà deux mois qu’elle vit à la maison, qu’elle ne veut plus entendre parler de toi. Pourtant vous êtes toujours mariés que je sache ?

– Hélas, oui, nous sommes toujours mariés.

– Alors pourquoi refuses–tu de l’appeler. Je sais, elle risque de te raccrocher au nez, mais si tu ne tentes rien, si tu ne lui dit pas que tu l’attends, qu’elle peut revenir chez vous, elle ne va pas partir et je n’aurai jamais le cœur et la force de la mettre à la rue. Tu me vois la poussant dehors et jetant sa valise par la fenêtre ? Non, il faut que tu fasses quelque chose et vite, car la cohabitation avec mes deux filles devient de plus en plus difficile.

– Quoi ? Je croyais que tes filles adoraient Josiane, répliqua Marc en lui faisant face.

– Oui, reconnaît Mathilde, mais c’était avant. Avant qu’elle ne s’installe chez nous. Aujourd’hui ce n’est plus pareil et j’en suis à me demander si moi aussi, j’ai toujours autant d’amitié pour elle ?

Marc se laissant bercer par le balancement de la passerelle, répond à voix basse.

– Nous sommes toujours mariés. Elle a le droit de revenir dans la maison qui m’appartient, mais il s’est passé tant de choses durant ces deux mois.

– Tu m’as appelée presque tous les jours pour avoir de ses nouvelles, est–ce que ces coups de téléphone constituent ce « tant de choses » ?

– Non. J’étais inquiet, elle est partie en claquant la porte après une grosse dispute à cause d’une broutille.

Après un silence, il poursuit.

– Ce tant de choses, c’est une image. Je devrais dire, il s’est passé une chose…

– Laquelle ?

– Pendant ces deux mois, je n’ai pas fait le fier et j’ai beaucoup réfléchi.

– Réfléchi ! Toi ! On n’en serait… Ou plutôt je n’en serais pas à me demander comment faire partir Josiane sans la mettre à la rue, si tu avais vraiment réfléchi, lâcha Mathilde d’un ton sarcastique.

– Toi, quand tu as décidé de ne pas comprendre ! Si, j’ai réfléchi, et c’est bien pour ça que j’ai accepté ton rendez–vous. Tu aurais seulement pu choisir un lieu plus confortable que cette passerelle balayée par les vents.

– C’est un lieu comme un autre et seules les mouettes peuvent entendre ce que nous disons.

– Oui, les mouettes, les passants, l’eau qui coule sous nos pieds ; tient, le pilote de la péniche qui approche…

– Vas–tu enfin en venir aux conclusions de ta réflexion, je ne peux passer tout l’après–midi ici à attendre ton bon vouloir, dans une heure il faut que je sois au travail.

– Le travail, la famille, de quoi demain sera fait, le sais–tu ?

– Tu m’agaces à la fin, avec tes réponses sans queue ni tête, cria Mathilde.

– Ne te fâche pas, si je dis tout et n’importe quoi, c’est que je ne sais pas comment te faire part de la conclusion à laquelle je suis arrivé.

– C’est bien la première fois que tu serais gêné pour m’annoncer quelque chose de désagréable, car cela ne peut–être que désagréable, n’est–ce pas ?

– Oui et non.

– Alors jette–toi à l’eau !

Marc amorce le geste de passer la jambe par dessus le parapet.

– Mathilde lui hurle, ne fais pas ça !

– Rassure–toi, je ne vais pas sauter, mais je me jette quand même à l’eau pour te dire : j’aime Josiane à la folie, mais je ne veux plus vivre avec elle.

Mathilde, d’une voix atone, je ne comprends pas.

– Moi non plus, je ne comprends pas.

– J’espérais que tu allais m’annoncer que tu viendrais la chercher.

– Non, je ne viendrai pas.

Les dents serrées, Mathilde lui lance à la figure,

– Je t’ai toujours estimé, je t’ai cru généreux et là je me trouve face à un égoïste comme j’en ai rarement rencontré. Monsieur aime sa femme mais ne veut plus vivre avec elle. Monsieur s’en fout de savoir que dans le foyer où elle s’est réfugiée, sa présence est devenue pesante, c’est même un élément perturbateur pour deux adolescentes et leur mère. Monsieur ne veut pas bouger le petit doigt pour assainir une situation difficile. Alors quoi, vas–tu redescendre sur terre ?

Muet, Marc tourne les talons, sans au–revoir, laissant Mathilde sidérée…

2 – Le moulin

Je retourne à la maison, mais avant d’en pousser la lourde porte, je m’arrête pour écouter les bruits familiers. Jamais ils ne me sont apparus aussi importants. Je me rends compte qu’ils habitent ma vie, qu’ils m’imprègnent à un point que je n’imaginais pas.

Le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles des bambous, des saules, des aulnes, des trembles… Le froissement des vorgines, le clapotis des vaguelettes venant mourir sur les galets, se développent sur le fond sonore du fleuve, une voix grave venue du fond des âges.

De temps à autres, lorsque l’envie m’en prend, j’ajoute à cette harmonie le bruit de la roue du moulin, fait du grincement de son axe et du jaillissement de l’eau dans les augets.

C’est ma fierté d’avoir remis en état la roue de ce moulin où mes aïeux ont écrasé le blé pour les hommes et d’autres graines pour les animaux.

Cela n’a pas été simple, car j’ai dû obtenir une autorisation spéciale pour que l’eau du Giralmon coule à nouveau par le bief pour emplir l’écluse. Des techniciens sont venus de Paris s’assurer du bien–fondé de ma demande. J’ai mis en avant le patrimoine ancestral, l’intérêt, pour les jeunes générations, de la découverte du fonctionnement des moulins bâtis sur les rives du grand fleuve.

Pourquoi ai–je eu cette idée ?

Parce que le fleuve, son chant, sa lumière argentée, sa force coulent en mes veines.

Je renonce à entrer et vais m’asseoir sur le muret qui domine l’écluse.

L’eau calme reflète le ciel, des vairons folâtrent au pied du mur ensoleillé.

Je contemple la maison qui a traversé les siècles. Ses murs épais d’un bon granit de pays s’élèvent sur deux étages. Une voûte traverse la bâtisse, c’est là que l’eau s’engouffre lorsque j’ouvre la vanne…

Une vague de souvenirs…

J’ai froid.

A grands pas je fais le tour de la maison et en franchis le seuil.

Je me laisse tomber sur le fauteuil face à la cheminée.

L’idée de Josiane me taraude et je repense à ma conversation avec Mathilde.

Mathilde qui m’a passé un vrai savon tout à l’heure. Une fois de plus elle a mis le doigt où ça fait mal. C’est bien dans son caractère d’aller droit au but.

Mathilde, l’amie d’enfance, ma confidente, avec qui je suis parti si souvent à la conquête du Giralmon.

C’est le plus souvent moi qui prenais la barque et allais la rejoindre sur l’autre rive. J’apportais les cannes et elle fournissait les vers de terre.

Et nous pêchions côte à côte en racontant nos journées d’école, puis de collège. Le lycée à interrompu nos escapades au bord du fleuve parce que l’un et l’autre sommes partis en pension dans la grande ville de notre département.

Le Giralmon constitue une frontière administrative, alors nous nous sommes écrit.

Je revis ces instants de bonheur lorsque l’on m’appelait pour me remettre une enveloppe de couleur. Mathilde n’aime pas le papier blanc.

C’est par elle que j’ai rencontré Josiane dont je suis devenu fou amoureux. Je n’osais pas le lui dire. Mathilde, la brune amie fidèle aux yeux pétillants, a usé d’un stratagème pour que je me déclare. Lorsque j’ai appris qu’elle était l’auteur de cette manigance, j’ai ri.

J’ai toujours considéré Mathilde comme une sœur. Sa franchise m’a souvent poussé à sortir de ma réserve, à laisser parler mon émotion.

Pourtant ce petit bout de femme, qui, malgré ses deux grossesses, a gardé la sveltesse de sa jeunesse, m’arrive tout juste à l’épaule. Moi le grand costaud, je me sens tout petit à ses côtés.

Lorsque j’ai appris le décès accidentel de son mari, j’ai été très triste de son chagrin, mais c’est Josiane, mon épouse, qui a su l’aider à remonter la pente…

Le soleil rasant embrase le fleuve et la lumière rougeoyante pénétrant par la baie se pose un instant sur moi, elle m’éblouit.

3 – Lecture au bord de l’eau

C’est dimanche, il fait beau, les feuillages roux et dorés se détachent sur le ciel bleu pâle, je n’ai pas envie de rester enfermé, j’aime mieux aller lire au bord du fleuve.

J’emprunte le sentier qui part du moulin et va jusqu’à la digue qui domine l’eau de plus de deux mètres depuis la mise en service du barrage.

Les oiseaux sont encore nombreux à voleter ici et là.

Je ne suis pas très attentif aux aventures des personnages du livre ouvert sur mes genoux. J’abandonne ma lecture pour observer la nature qui m’entoure.

Des canards colvert barbotent à quelque distance. Ils s’élancent traînant derrière eux de grandes éclaboussures irisées par le soleil. Leurs battements d’ailes puissants les emmènent sur l’autre rive du Giralmon. Je les suis des yeux, regrettant de n’avoir pas pris mes jumelles plutôt qu’un livre.

Le scintillement de l’eau me fait plisser les yeux, mais je ne lâche pas les canards du regard.

En vol plané, ils se posent les pattes en avant, sur l’eau calme de la crique juste en face.

Comme avalés par l’ombre, je devine plus que ne vois leurs silhouettes aller et venir sur l’onde. J’attends qu’ils reviennent de ce côté–ci, car là–bas, pas de plage, le rocher tombe à pic dans le fleuve. Une phrase me revient en mémoire : « La bordure orientale du Massif Central conduit le Giralmon jusqu’à la mer… », c’est ce que l’on nous disait en classe.

Les canards n’ont cure de ce qui se passe au–dessus d’eux.

Plissant un peu plus les yeux, je tente de voir si des promeneurs sont sur l’étroit sentier qui serpente sur la rive droite.

Avec l’arrivée de l’automne, des trouées se sont formées dans les feuillages. Pas un souffle d’air, les frondaisons sont immobiles.

Pourtant j’aperçois des branches qui s’inclinent. J’ai envie de crier « Ohé de l’autre côté », mais je sais qu’il est inutile que je m’époumone, le grand fleuve aura éteint ma voix avant qu’elle ne parvienne sur l’autre rive.

Je ne fais pas un geste, je ne veux pas signaler ma présence. Avec mes vêtements tirant sur le gris et le beige, je suis assez caméléon pour me fondre dans la masse de la digue.

Là–bas ça s’agite plutôt pas mal ! Je souris et pense qu’un couple a trouvé l’endroit approprié pour une rencontre discrète.

Soudain des taches de couleur, probablement des vêtements, s’élèvent dans les branchages, un point rouge reste accroché. On dirait un fanal, comme ceux fixés aux portes des maisons closes ! Mais là, il manque le toit, la porte, les fenêtres, un lit et tout le reste. Heureusement l’herbe est encore drue…

Je reste les yeux rivés sur le point rouge. Je n’ai même pas vu l’envol des canards. Ma tension visuelle est telle que deux larmes se sont formées, je les essuie du revers de ma manche.

Je ne me connaissais pas voyeur et pourtant c’est sans état d’âme que je poursuis mon observation.

Qui peut venir en ce lieu désert un dimanche après–midi ?

Il faut savoir que le sentier débute derrière la cabane de Pierre, l’ancien pêcheur professionnel, qui a établi son jardin entre la voie ferrée et le fleuve. Les jeunes d’aujourd’hui ne viennent pas par ici, comme nous le faisions à leur âge.

Sous la tache rouge les végétaux sont animés d’un balancement régulier.

Lorsque nous partions à l’aventure sur ce sentier mangé par les vorgines et les jeunes saules, il y avait Mathilde et toute la bande… Nous étions une douzaine de garçons et filles à nous prendre pour des Robinsons Crusoë. Combien de nuits à la belle étoile avons–nous passées ? À refaire le monde, à rêver notre avenir… A dévorer à belles dents les casse–croûtes apportés dans le sac à dos, enfouis dans nos duvets pour ne pas être mangés par les moustiques…

Le balancement a cessé.

Le point rouge n’a pas quitté sa branche. Soudainement celle–ci s’agite en tous sens et lâche sa proie, son fanal.

Un ultime soubresaut de la végétation évoque un profond soupir d’aise. Et fait monter en moi un soupir de tristesse. La maison close végétale s’est évanouie.

Les ombres s’étirent plus longues, le soleil a transformé le Giralmon en fleuve d’argent.

Un frisson parcourt mon épine dorsale.

Je quitte mon observatoire et fais s’envoler les canards dans la lumière du soir.

4 – Un autre monde

Le soleil printanier anime d’une couleur douce les pierres du cloître et fait ressortir le vert tendre des feuillages naissants.

Mathilde et Marc marchent côte à côte sous les voûtes séculaires.

Ils sont seuls.

Par intermittence, leurs silhouettes projètent des ombres fugitives sur les murs.

L’une, longiligne, donne de Marc – dont la robe de bure descend jusqu’à ses pieds – une image épurée à l’extrême.

L’autre agitée, retranscrit l’émotion de Mathilde.

C’est par autorisation spéciale que celle–ci a pu franchir les portes du monastère. « Pour une heure seulement » a précisé le frère portier.

Le moine et la visiteuse sont conscients que c’est sans doute la dernière fois qu’ils se voient.

Dans le regard qu’ils ont échangé, ils ont mesuré le temps passé.

Mathilde rompt le silence la première.

– Lorsque nous nous sommes disputés sur la passerelle, il y a vingt–cinq ans, je ne me doutais pas de ce qui allait se passer ».

– Oui, ce jour–là je n’ai pas réussi à te dire la raison pour laquelle je ne voulais pas et ne pouvais pas revoir Josiane. Ton emportement, justifié, m’a figé dans ma timidité et je n’ai pas su faire autre chose que le pitre.

Deux mois après notre entrevue, j’avais réglé ma situation professionnelle et mis en ordre mes affaires personnelles. J’ai agi en sorte que Josiane ne soit lésée en aucune manière, mais elle n’a pas eu le moulin du bord du fleuve, il fallait qu’il reste dans la famille pour continuer à vivre ; ce sont mes neveux qui s’en occupent aujourd’hui.

– Lorsque j’ai reçu ta lettre, j’ai été abasourdie et, dans un premier temps, je n’ai pas cru un mot de ce que tu avais écrit. Le lendemain, Josiane qui, peu après notre rencontre sur la passerelle, avait emménagé dans un studio à l’autre bout de la ville, m’a appelée et en larmes, m’a dit que tu venais d’entrer chez les trappistes.

Elle se tait, puis poursuit :

–  Ainsi ce que j’avais lu était bien exact. Mais cette foi, immense, dont tu me parlais dans ta lettre, comment est–elle née. Et pourquoi n’en avoir jamais rien dit ?

–  Tu sais, c’est très difficile de parler de ces choses–là.

A cette époque, moi–même je me posais beaucoup de questions. Je crois que tout a commencé lors de notre voyage en Italie. Tu te souviens, que très vite après notre mariage, nous avons sillonné la région où Saint–François et Sainte–Claire ont vécu et ont rassemblé des disciples qui ont été les premiers Franciscains et premières Clarisses.

Nous avons  assisté à des offices religieux dans de modestes chapelles perdues dans la campagne durant lesquels régnait une grande ferveur. Je n’ai jamais oublié ces instants. Ils ont éveillé en moi des sentiments, fait grandir une spiritualité et naître des envies de retraite. Josiane m’a accompagné à Taizé, à l’abbaye de Hautecombe et en d’autres lieux. Peu à peu, ces temps de prière, de silence, de réflexion, d’oubli de soi, ont pris une place de plus en plus grande dans ma vie, dans notre vie de couple.

–  Et Josiane que disait–elle de tout ça ?

– Au début rien. Puis elle est devenue soupçonneuse. Elle souffrait et je ne parvenais pas à la rassurer, à lui dire ce qui m’arrivait, les sentiments qui m’écartelaient. Je n’ai pas réussi à trouver le chemin de son cœur. Les disputes ont été de plus en plus nombreuses, jusqu’au jour où elle a claqué la porte.

–  Et ça ne t’a rien fait ?

–  Oh si ! J’étais très triste, peiné, car comme je te l’ai dit, je l’aimais à la folie, mais j’en étais arrivé à un point où je devais choisir, m’engager dans un non retour.

Après notre rencontre sur la passerelle, je me suis d’abord enfermé au moulin, puis suis parti à Hautecombe. J’y suis resté une dizaine de jours. J’ai beaucoup parlé avec le prieur. Au terme de ces longues discussions, la conclusion s’est imposée, ma route était tracée : je devais quitter la vie civile et consacrer toute mon énergie à la prière.

Ne crois pas que l’on accepte du jour au lendemain un quidam qui dit qu’il veut se faire moine. Sept années se sont écoulées avant que je sois autorisé à prononcer mes vœux. Période au cours de laquelle j’ai eu des permissions pour assister à des fêtes de famille, une façon de nous mettre à l’épreuve. Ainsi j’étais présent au mariage de mes neveux ; par eux j’ai eu des nouvelles de Josiane, mais je ne l’ai jamais revue.

J’ai beaucoup prié pour elle et ce que tu m’apprends de ses derniers jours m’apaise, car tu me dis qu’elle m’a pardonné.

Marc questionne : et tes filles, que sont–elles devenues ?

                                                                                                                 – Elles sont mères de famille et m’ont faite grand–mère de trois adorables fillettes.

En silence, ils refont le tour du cloître

La cloche tinte.

Le moine portier apparaît et fait signe à la visiteuse.

L’heure s’est écoulée.

Un dernier sourire unit les deux amis.

La lourde porte se referme…

5 – J’irai voir le supérieur

Marc rejoint sa cellule, l’esprit léger, libéré par ce que Mathilde vient de lui rapporter.

Assis devant sa table étroite, il médite, le visage rayonnant. Puis empoigne le gros cahier qui l’accompagne depuis son départ du moulin et relit le dernier paragraphe de ce qu’il a écrit des années auparavant :

« Je tourne la page, je m’engage dans un inconnu qui m’effraie. Je me sens poussé et porté par une force que je ne maîtrise pas… »

Il sourit et d’une main ferme se met à écrire.

« Merci Seigneur, que ta volonté soit faite.

Demain j’irai voir le Supérieur.

Je lui dirai que ma foi doit maintenant m’aider à porter hors de ces murs le message du Christ.

Je lui dirai que je suis prêt à retourner dans le monde si c’est là que la volonté de Dieu m’appelle. Ce monde que j’ai fui parce qu’il me faisait peur.

Je lui dirai que je veux servir le Seigneur en étant utile à mes semblables.

Je pourrai me rendre en Afrique, ou en Asie, à moins que ce soit en Amérique latine.

J’apprendrai la langue des populations auprès desquelles je serai appelé à porter la Parole.

Serai–je capable de transmettre cette dernière ?

Demain je frapperai à la porte du Supérieur.

Je saurai le convaincre de ma capacité à témoigner par l’exemple si je ne peux le faire par les mots…

Humble serviteur je me ferai…

Demain…

Sur le fleuve Amazone et sur ses affluents, je me déplacerai en pirogue pour aller d’un village à l’autre.

Avant je troquerai ma robe de moine pour des vêtements plus appropriés. La croix de bois accrochée au cordon de cuir passé autour de mon cou dira mon appartenance à un ordre religieux et dévoilera ma mission.

Je mettrai mes compétences anciennes de conducteur de travaux, mes connaissances en matière de construction, à la disposition des habitants. Je pourrai les aider à rendre leurs cases sur pilotis plus solides, plus confortables. Je leurs expliquerai que je sais les dégâts provoqués par les colères d’un fleuve.

Pour gagner leur confiance, je construirai ma propre maison. Je leur démontrerai que je sais comment ne pas se laisser prendre au piège des remous et des rapides d’une rivière.

En Afrique, je voudrai, là aussi, vivre sur les bords d’un cours d’eau, ou d’un lac. De même en Asie.

Ici, aux alentours de la Trappe, j’apprendrai les torrents, je découvrirai comment est le Giralmon lorsqu’il dévale la montagne, fougueux et indompté.

Fougueux, c’est ce que j’essaierai d’être.

J’emprunterai aussi au fleuve sa permanence, sa régularité, sa fidélité aux gens qu’il a fait vivre.

Demain j’irai voir le Supérieur… »

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