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Le disque s’est arrêté

Marie-France Perriol

Elle attend, assise devant la grande baie vitrée.

Elle l’attend, comme si, en fixant la rue qu’on devine derrière les rideaux légers et translucides, il allait arriver plus vite, tout de suite.

Elle l’attend, un verre à la main. Peut-être s’est-elle dit que se servir allait le faire venir, l’heure de l’apéritif étant passée depuis longtemps déjà.

Elle attend, seule dans la pièce qui commence à s’obscurcir. Bientôt, il faudra allumer le lampadaire.

Elle attend, immobile, dans un fauteuil recouvert d’un tissu blanc, les pieds chaussés de talons aiguilles reposant sur un tabouret de velours cramoisi.

Elle l’attend, comme elle l’a toujours fait, chaque jour, depuis son mariage, il y aura dix ans cette année.

Elle l’attend, et s’est maquillée soigneusement, a mis la jupe qu’il aime, le pull qui lui va si bien. Elle a attaché à son bras le bracelet qu’il lui a offert pour son anniversaire.

Elle attend, son regard ne quitte pas la fenêtre mais elle ne voit ni la rue, ni les ombres qui s’allongent et ocrent les murs du salon. Elle guette le bruit des pas, de la clé dans la serrure, mais rien ne trouble le silence.

Elle attend, sans un mouvement, dans la tiédeur de ce mois de septembre. Sur le phono, le disque s’est arrêté mais elle ne pense pas à le changer.

Elle l’attend, comme tous les soirs. Il va rentrer, souriant, heureux de la retrouver après une longue journée de travail. Peut-être iront-ils dîner au restaurant ? Ou bien souperont-ils après avoir regardé le dernier film de Dujardin ?

Elle attend, parce qu’il n’y a plus rien d’autre à faire. Ses bagages sont terminés. Elle a recouvert les meubles de draps blancs pour les protéger de la poussière.

Elle attend l’heure d’aller se coucher pour la dernière fois dans l’appartement qu’elle quittera définitivement demain, où ils ont vécu dix ans, où ils se sont aimés et où elle se trouve seule ce soir.

Elle attend. La nuit descend peu à peu, comme tombent ses illusions et les larmes le long de ses joues, invisibles dans la pénombre.

Elle l’attend, le buste raide et la tête droite, prête à se lever et courir l’embrasser, ignorant la petite voix qui murmure : « il est parti depuis un mois déjà et il ne reviendra pas ». Elle l’a tant attendu que son corps glacé s’est figé. Elle n’est plus qu’une ombre, immobile dans une pièce presque vide, seule, devant une grande fenêtre où on devine la vie derrière les rideaux blancs

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