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Le chant (d’amour) de l’artiste

Claudine Genet

Il est dans son atelier, devant son chevalet, sa palette est prête, quelques couleurs primaires. Il va commencer avec un pinceau mais c’est le couteau qu’il préfère manier.

Bien sûr, il a déjà en tête le motif ou, plus exactement, il vit avec l’impression, l’émotion, l’illustration qu’il va peindre, traduire, enfin, quelque chose qui le pousse à prendre son pinceau à l’enduire de rouge grenat et à poser là sur la droite de la toile un long trait-tache, un bonhomme peut-être, qu’il va en fin de course recouvrir de vert émeraude. Après, tout s’accélère, l’ocre jaune, le vermillon interviennent, suivis du bleu outremer et du vert Armor et le rouge grenat revient…

Voilà trois heures qu’il est debout, qu’il manipule couteau et tubes. La toile est recouverte… Recouverte ? Mais qu’est-ce qu’elle représente ? Comment la décrire ?

La silhouette habillée de rouge grenat devient arbre sans feuille, sans branche  sur un tapis bleu outremer jusqu’à ne plus être un personnage ou un arbre mais un cri baigné dans un ensemble de couleurs et de matière aussi vives qu’un bouquet de feu d’artifice. Plus exactement, ce cri est un long poème d’amour dédié à son amante, les mots se suivent en ribambelle, se murmurent dans le creux du coquillage. Les vers sont interminables mais légers comme la longue trainée qui s’enfuit jusqu’en bas du tableau.

 L’assemblage des couleurs, l’épaisseur de la matière traduisent simplement les silences ensoleillés, les plaisirs colorés, les caresses pastels, l’envahissant sentiment de plénitude de son amour, l’exaltation qui l’habitent et lui donnent le goût des choses impossibles, lui procurent cette énergie pour peindre, pour jouer avec les couleurs sur sa palette et donner cette exubérance à son tableau.

Parce que l’artiste retrouvera l’incapacité, fera l’expérience devant chaque tableau de cette impossibilité à transmettre toute la puissance de ce qu’il ressent au plus profond de son être, il recommencera encore et encore cette vaine tentative avec d’autres toiles. Il cherchera à capter par mélange, juxtaposition, recouvrement, vibration des couleurs, l’ardeur de sa passion nourrie de ses rêves et de ses espoirs, bercée par le ressac léger mais permanent de l’existence.

Avec l’espérance qu’aussi longtemps qu’il ne transcrira pas l’expression exacte de ses sentiments aussi intenses qu’une tempête sur l’océan, son amour existera malgré les embuscades de la vie, il demeurera visible comme un lever du jour somptueux sur la mer, chatoyant tel des pierres précieuses aux reflets fascinants.

A la manière de tous les artistes passionnés par leur art comme par leur amour, il  essayera de capturer cette indicible lueur de tableau en tableau jusqu’à la fin de sa vie.

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