Denise Sibeud
Assise devant mon bol de café noir, je me perds dans les tourbillons de sa surface, ils m’absorbent, je ne peux ni ne veux m’en détacher. Je cède, je plonge au centre de ces bouillonnements, chaleur, odeur forte, riche en arômes de l’arabica, cercles concentriques dorés, brun clair presque roux, renouvelés sans cesse, milieu liquide enveloppant. Je m’enfonce, tête la première. Je me laisse naviguer. Puis l’environnement devient moins fluide, je dérive jusqu’au temps de la poudre à l’odeur corsée, je tousse, j’éternue, j’étouffe, un nuage m’entoure chargé de senteurs du grillé, d’amertume aussi, je n’ai plus de repères. Le bruit assourdissant d’un broyeur accompagné d’une chaleur intense rend cette expédition très inconfortable. Je m’en écarte et l’atmosphère s’éclaircit. La poudre provient de grains noirs moulus, sortis d’un torréfacteur- brûleur où ils se sont engouffrés encore verts.
A la fin de la guerre, chez mes parents, le cylindre noir reposait sur un réchaud. Il fallait tourner pour « brûler » les grains de café ou d’orge, il fallait tourner mais aussi balancer le cylindre de gauche à droite, de droite à gauche, c’était le travail des enfants.
La poudre… à l’origine il y a un arbre… Un vent léger passe sur les cerises des caféiers d’Ethiopie, beaux arbres aux feuilles brillantes, aux fleurs blanches, parfumées, aux fruits rouges.
Je m’étends dans leur ombre et je m’endors.
Rester sous les arbres aux fruits rouges…