Vivi BERNARD
Le jardin de Viguier
Un bout de terre pentu, clos d’une murette. Une porte branlante en surveille l’accès. Rentrée des champs harassée, la paysanne trouve pourtant le temps d’arroser cette terre. Ici rien ne doit être négligé. Elle économise l’eau. Secrète germination des graines enfouies. Les légumes agrémenteront leur faible pitance. À ceux qui n’y croient pas, elle a su glaner, sur ce temps de l’utile, un temps pour elle. Dans un recoin, elle a semé quelques fleurs et planté un pied de thym pour le civet du dimanche.
Le jardin de « la petite source »
Cultivé à l’époque par ma grand-mère à l’écart de la maison familiale et royaume maintenant des ormeaux, de la vigne sauvage, du sureau et des herbes hautes, des ronces et des lianes de clématites. Car, il faut bien le dire, le jardinage parti, la nature reprend ses droits. Les chardons abondent. Il va de soi que l’autrefois, domaine des asperges et des melons, des plates- bandes de fraisiers, se plaît toujours à y rôder. Le figuier, devenu si vieux, donne toujours un peu d’ombre. On ne dépouille plus le griottier de ses feuilles pour le guignolet. Odeur des fleurs du lilas devenu sauvage, explosion de joie dans la poitrine.
Le jardin de ma mère
Il est clair qu’elle restait maîtresse de sa parcelle juste devant la bâtisse. Plutôt que de m’émerveiller devant les superbes rangées de haricots verts qu’il allait falloir équeuter ou de celles des plants de pommes de terre qu’il faudrait arracher un jour d’été, je ne veux retenir que les parterres de fleurs, à commencer par les dahlias aux couleurs éclatantes où se mêlait en juillet l’odeur du feuillage de la tomate. Avec Papa, le matin, j’adorais en déguster une à la croque-sel. Les hortensias, timides en leur coin, se cantonnaient vers le puits. La fête des giroflées y était splendide. Les cannas, orgueilleux, se balançaient au vent. Les œillets couvraient de leur odeur poivrée celles des roses sauvages.
Le jardin d’Annie
En avril, il suffit de pousser le portillon rouillé et l’on ploie sous l’exubérance de la végétation. De part et d’autre des pas japonais, ce ne sont que courbes de forsythia entrelacées avec grappes d’inflorescences blanches. Des pensées dressent leurs têtes colorées au-dessus de la vieille bassine en fer blanc posée au milieu des narcisses en fleurs. D’autres retombent de la fontaine rouillée qui se niche dans le feuillage vert, compact et moucheté de mordoré. En dessous, un broc semble vouloir en recueillir l’eau de pluie. Ainsi le lien se fait-il tout seul. Du lierre habille un pot vernissé sur une souche. Trois arrosoirs anciens tournent leur bec verseur vers le vieil évier de pierre entrevu derrière la porte de la cuisine aux vitres parées de rideaux au crochet. On a accroché le dérouleur d’un tuyau sur une planche verticale en bois fixée sur le mur. Du massif sous le jacaranda aux merveilleuses fleurs roses, les tulipes tendent leurs pétales mauves largement ouverts offrant leur cœur jaune. Si vous pénétrez dans le jardinet d’Annie au mois de mai, c’est une magnificence de roses anciennes qui vous accueille de leur parfum subtil.
Dans tous les cas,
Celui qui s’occupe d’un jardin vit dans l’attente et la surprise. Une surprise toujours heureuse qui éloigne la nostalgie. Semer reste agir pour l’avenir. Quand on plante une graine, on pense à demain. On s’attelle à voir grandir la jeune pousse, on l’accompagne dans les moments les plus fragiles de sa croissance. On s’émerveille du mystère de la Vie. Mais avant tout au jardin, on touche la terre, on existe, quelque chose d’autre se passe.
Clef de l’intime
Pour ce jardin
Que l’on garde jalousement secret.
Y poussent à notre insu
Des plantes dont les racines s’enfoncent
Au plus profond de nous-mêmes.
Vie que l’on pense à jamais enfouie
Et qui se manifeste au travers
D’un mot prononcé,
D’un sourire complice,
D’un regard soutenu.
Récolte inattendue
De ces fruits à la saveur oubliée.