« Extrait du journal intime d’une poignée de porte »

Marie-France PERRIOL

Lundi 5 mai

À six heures, le réveil a sonné comme tous les jours de la semaine. C’est toujours Elle qui se lève la première. Lui, traîne jusqu’au dernier moment et souvent, Elle doit venir le secouer. Sans bruit, Elle traverse la chambre. Sa main, doucement, effleure ma porcelaine. Elle me tourne à peine, se glisse dans l’entrebâillement, me sollicite à nouveau et ferme silencieusement la porte derrière elle.

Elle est toujours très occupée le matin. Elle se hâte vers la salle de bains. J’entends l’eau. Puis, Elle prépare le déjeuner pour toute la famille. Je sens l’arôme du café. Puis, elle réveille la Petite qui dort profondément. J’écoute les baisers et les chuchotements. Lui, a fini par se lever. Sa main lourde m’a saisie, m’a secouée, a tordu ma tête délicate, sans ménagement.

Je suis tranquille le reste de la journée avec le chat pour compagnie. À cause de lui, les portes demeurent ouvertes.

J’entends la clef tourner dans la serrure de la porte d’entrée. C’est Elle, avec la Petite dont la main peut à peine me toucher. Elle pousse la porte et vient caresser le chat, installé sur le lit. Lui, n’arrive qu’à vingt heures histoire de mettre les pieds sous la table en regardant la télé.

Mardi 6 mai

La journée s’est déroulée comme d’habitude. Mais à vingt heures, Lui n’était toujours pas là. Elle a couché la Petite, a veillé un moment dans le salon. À minuit, Elle a fermé le livre d’un coup sec, et s’est décidée à se coucher, m’effleurant au passage.

Mercredi 7 mai

Elle s’est levée comme à l’accoutumée, a emmené la Petite à la garderie du centre social.

Ce soir, ses talons claquent sur le parquet. D’habitude, Elle glisse ses pieds silencieusement à cause des voisins. À son retour, Elle s’est précipitée sur le répondeur, aucun message. Elle a téléphoné à tous les hôpitaux. Rien.

Quand Elle est venue se coucher, Elle m’a serrée très fort et a fermé la porte pour que la Petite n’entende pas ses pleurs.

Elle n’a presque pas dormi.

Jeudi 8 mai

J’ai vu qu’Elle avait les yeux cernés quand le réveil a sonné. Par petites secousses, Elle ma poussée. Après une douche, plus longue que d’ordinaire, Elle a préparé le café, a réveillé la Petite. Elle se forçait à sourire, ça s’entendait au son de sa voix. Elles sont parties à l’heure, comme d’habitude.

Un peu plus tard, la clef a tourné dans la serrure de la porte d’entrée. C’était Lui. Il n’était pas seul. La femme qui l’accompagnait, je ne l’avais jamais vue. Il m’a presque arrachée tant il était pressé d’ouvrir la porte de la chambre en grand. En riant, il a emmené la femme vers le lit. L’odeur de son parfum envahissait la pièce.

Puis il a sorti une valise, a fourré du linge dedans, un veston, deux pantalons. Sur une feuille de papier blanc, il a écrit un mot, qu’il m’a accroché au cou.

« Adieu. Je pars. Ne m’attends pas ce soir, ni jamais. Mon Amérique m’attend, une autre vie. Avec une femme que j’aime et qui m’aime. Embrasse la Petite pour moi. »

Il n’a pas signé. À quoi bon ?

Vendredi 9 mai

Elle ne s’est pas levée ce matin. La Petite n’est pas allée à l’école. Elle a téléphoné à son travail et a dit qu’elle était malade. Puis Elle s’est recouchée, me caressant d’un doigt machinal au passage. Elle est restée au lit toute la journée, ne se levant que pour préparer le repas de la Petite qui a joué sagement dans sa chambre.

Samedi 10 mai

Je suis inquiète. Elle a moins pleuré, mais elle est restée sans bouger, les yeux ouverts, sans rien faire de la journée. Elle a donné un coup de téléphone, s’est recouchée, sans me toucher, la porte grande ouverte.

Dimanche 11 mai

On a sonné. C’est sa mère qui vient chercher la Petite. Elle, elle ne veut pas les suivre. La main de la Mère est délicate, elle me secoue un peu, d’émotion, je suppose. Je l’aime bien. Souriante, douce, je la trouve très gentille. Elle s’assied sur le lit et parle longuement à sa fille. Elle réussit à la convaincre de les accompagner et prépare les bagages, le panier du chat, les jouets de la Petite. Elle m’empoigne et appuie. La tête me tourne.

Je vais rester toute seule. Combien de temps ?

J’ai peur.

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