Marie-Agnès CHAVENT-MOREL
La maison a surgi à partir de tes propres plans, le long d’une sente menant à un moulin. Il manquera toujours ses mains d’homme à votre maison ensemble. Vous l’aviez voulue en zone de frontière afin que jamais une mer ne sépare longtemps vos deux pays.
Tu as empli la demeure de vos quatre cœurs de femmes. Un cœur à chaque point cardinal, créant une manière de boussole, dans une géographie où se tracerait, guidé, chacun de vos destins.
Après l’effondrement, vacillante, tu as construit en ses murs un chemin de quête, cherchant et recherchant, têtue, à l’aide d’un balancier sans cesse sous le vent, un équilibre qui maintienne la vie. Tu l’as trouvé.
Tu cimentes l’histoire de ta maison, tu en es la toute première strate, celle sur laquelle les habitants d’un futur sans toi, à leur tour, ajouteront leurs sédiments et d’autres ensuite. Tu es la première gardienne de rêves en ces lieux. D’autres rêves, à toi étrangers, la peupleront. Tu sais que la maison imprimera et gardera de toi, à jamais, ce que tu y auras placé.
Depuis peu, tu en observes les premières rides, la neuve et humide fragilité des fenêtres sur la mer du Nord, le plancher qui tangue, un trou dans la porte. Un visage se dessine, les plis d’une histoire se forment de-ci de-là, tu prends soin de les atténuer, de les adoucir, non de les effacer, tu connais la beauté du temps qui passe.
Pour un temps, ta maison, c’est l’île où tu t’arrimes après tes voyages, où tu poses tes essoufflements, où tu caresses, dans le jardin aux trois grands arbres, tes désirs de fleurs, de framboisiers en haut de la colline, tes désirs de soleil sur la peau.
Le toit ouvre sur le ciel.
Plus près de l’infini ?