Christian Comard
Le soleil insistant à l’aplomb du clocher pointu, oblique à travers les vitraux colorés. L’église sent l’humide, une arrière-odeur de germes de pomme de terre. Une église à l’assistance clairsemée malgré les appels du père malgache à se regrouper. Le chauffage pulse par les grilles d’aération. Aspiré par la hauteur de la nef, il traverse sans s’y attarder, les corps transis, emmitouflés, endimanchés. La musique graillonne dans les hauts- parleurs accrochés sur les deux premiers piliers latéraux.
Tassée sur les premiers bancs réservés de part et d’autre de l’allée centrale, la famille malgré les vacances est au complet, contrairement à certains amis qui ne pouvaient laisser leur location. Cinq habitués des célébrations mortuaires complètent en fond d’église l’assemblée dont les regards convergent vers le cercueil. Point central posé sur deux tréteaux, en bois clair, léger, quatre fines poignées en laiton, couvercle plat sur lequel sont posées une photo couleur du défunt souriant, une plaque nominative avec année de naissance et année du décès. Autour du coffre, des lumignons grésillent.
Le rite s’accomplit. Témoignages, textes, l’histoire de la pièce d’à côté, une bouillie de sono quand le père malgache commente. Toussotements. Chants chétifs, légers balancements des corps, les rayons du soleil de moins en moins obliques. C’est le temps du dernier adieu, l’absoute d’autrefois. Une file se forme au pied du cercueil. Les corps se serrent et piétinent.
Contact furtif des doigts de deux mains inconnues.
On ne peut plus toucher le mort. Scellé dans la boîte, à jamais. Souvenir de son visage détendu, les pommettes à peine rosies, le baiser sur son front froid et lisse, de beaux habits du dimanche. On se passe le goupillon. Maladroitement souvent. C’est lourd un goupillon. Rigide, au bout sphérique, comme un micro aphone. Que dire si ce n’est de l’intérieur ? Mélange de droiture et de rondeur, l’objet en laiton est tiède de tant de prises. Dernier hommage, dernier geste où l’on prend l’objet proposé par une main tournée vers soi et où l’on se tournera pour le proposer à une autre main. Passage de relai. La chaîne humaine pour conjurer l’absence. Le bruit métallique du goupillon dans le petit seau d’eau bénite. Asperger, quelques gouttes de larmes rentrées. Quatre mouvements du poignet, dans quel ordre ? Est-ce important ? Se tourner et passer le témoin. Cela n’empêche pas la caresse de la main sur le bois clair.