« Autoportrait bleu craquelé »

Marie-Pierre Stevant-Lautier

Bien choisir son matériau, non pour l’artifice, mais pour le rendu des choses.

 La sous-couche donnera à l’ensemble une teinte bleue qui assurera une bonne humeur pérenne, parce que c’est le bleu qui l’emporte à la fin.

 Le bleu se rétablit, même si temporairement le gris, le beige ou le rouge ont occupé l’espace, seulement un temps. Le bleu revient comme revient une tendance naturelle. C’est le bleu de la résilience.

 Je pense être bâtie du côté de la résilience. Je peux supporter d’être vent debout, de vaciller, de mordre la poussière, de tanguer et même d’être en ruines. Je suis à la fin moi, verticale, le regard ouvert sur un horizon plus large qu’avant. Je demeure.

 C’est le bleu de la non-violence. Le bleu de la discrétion, peut-être d’une certaine pâleur de traits. Le vif, l’incisif qui me plaisent tant chez certaines personnes brunes, aux peaux mates, il me faut les puiser au dedans.

 Qu’importe ma pâleur d’origine, l’encrier ne montre pas ce qu’il contient. C’est en écrivant que l’on crée la ligne. On peut feindre le noir, le cuivre. Mais vivement le bleu du commencement, ma couleur primaire, ma couleur d’avant-tout.

 Vivement la douceur.

 C’est le bleu de l’après-coup. Il évoque un apaisement, un retour au bien-être d’être soi. Un régulier retour. On a vu d’autres nuances prendre la place, on a vu ce bleu perturbé tant de fois. Les croisades intimes, les intempéries, les destructions donnent une couleur au visage qui n’est pas naturelle.

 Le carmin, et le fauve me plaisent, j’en conviens, mais ce sont des teintes d’emprunt.

 Ma couleur de base est le bleu. Ma sécurité.

 Attention, pas le bleu ciel de la Vierge Marie. Je le lui laisse. Chasse gardée.

 Mon bleu est celui d’un lavis presque invisible, qui sied à mon visage parce que c’est le bleu qui permet la patience.

 Pour finir, poser un vernis à effet craquelé. Cela confère à l’ensemble un aspect « traversée du temps comme si de rien n’était ». Des rides oui, mais çà ou là, dans un flou avantageux. Des rides revendiquées, placées au bon endroit, au coin de l’œil qui s’émerveille, de la bouche qui rit et raconte enfin.

 Des formes oui, enfin de la rondeur, on ne sait pas trop, tant mieux, le vernis donne droit à un supplément de corps, une courbe plus ou moins inventée par l’œil, une joliesse un peu usurpée, comment savoir.

 Des interstices, oui, du discontinu, où peuvent encore se loger des désirs, des passions, aussi bien que des attentions, des projets. Des failles d’où jaillit une lumière. Des manques, pour poursuivre une croissance que l’on avait interrompue, en en gommant désormais les raideurs.

 Ne pas craindre la fêlure, l’ébréchure, puisqu’aussi bien on a su préserver le bleu de l’unité.

Laisser un commentaire...

Vous devez vousconnecter; pour laisser un commentaire.