« Ailleurs en soi »

Christian ZIMMERMANN

Polyglotte Des langues bruissent en moi que je porte au plus profond, langue venue de l’enfance primitive portée par la tribu, d’abord langue première dont les vibrations passent par le corps-mère, et s’enroulent indélébile autour de l’axe de mon être, langues héritées qui somnolent en moi dans l’attente d’un éveil, qui voyagent dans ma mémoire avec leurs sonorités qui viennent faire ressac à mes oreilles oublieuses, langues qui attendent de prendre forme, prendre souche en un lieu de frottement possible, langues qui attendent que ton souffle s’en empare pour être proférées, langue du poème qui cherche sa prosodie, langues apprises sur le tas, vocables asséchés par l ‘oubli, langue qui s’étiole faute d’avoir été proférée.

 Funambule du destin La chanson dit « je suis né quelque part », j’aurais pu naître ailleurs, dans un autre temps, sur une terre aride et glacée, dans le désert, dans les plaines de la Pampa, au bord du lac Titicaca, dans les faubourgs de Tokyo-Yokohama, en Chine au pied du Kilimandjaro, en Patagonie, dans le Montana au bord du Saint Laurent, en Australie… Ce qui advient après est une autre affaire, le terreau de départ fait souche, l’identité se tresse au gré d’un lieu, d’une histoire, se tresse et se défait pour se recomposer sur d’autres soubassements, empruntant des chemins de hasard.

 Je marche le long de cette route, m’éprouve marchant et c’est l’enchantement du monde, l’épreuve d’un pas suspendu entre deux infinis, des infinis de possibles, angoisse primordiale de l’être qui s’en va cheminant droit devant … Ne pas regarder trop en arrière, ne pas regarder au-dessous de soi… À chaque avancée, son effondrement, à chaque avancée, puis viennent les chemins de traverse, les pas de côté qui ouvrent notre regard, nous lestent d’expériences nouvelles.

 Et puis il y a ce monde plein de bruits et de fureurs qui nous disperse, affaiblit notre être, nous fait oublier l’essentiel ; l’essentiel à nos pieds, l’essentiel d’un paysage, l’essentiel d’un visage, d’une présence, celle de l’être aimé, ce monde pressé nous entraîne dans cette course vers l’oubli.

 Rester bien en équilibre infatigable sur la corde tendue de notre destin.

 Danse Il te faut toujours soustraire pour ne pas tomber dans la confusion, la lourdeur, l’ennui Arriver à l’épure, comme l’archer zen, pour pouvoir enfin jouer avec la pesanteur, tes pesanteurs.

 Te souvenir que d’autres avant toi ont atteint ce plaisir rare, cette jouissance qui se lève au fil des pas bien cadencés, bien balancés où parfois tu peux si tu le veux toucher à la grâce.

 Tu refuses la discipline de l’apprentissage fastidieux alors danse ta danse comme une œuvre d’art.

 Elle te demandera patience, obstination, toi derviche tourneur de ta vie.

 Visage Ton visage me dit l’histoire de ta vie, me dit l’histoire de tes ancêtres, il me conte au fil des jours sous la peau caméléon des humeurs, tes états d’âme ; ton visage est une énigme indéchiffrable, qu’il m’est impossible de comprendre autrement que par la longue conversation de nos corps, de nos voix.

 « L’entretien infini » qui s’écrit d’abord dans un profond silence, dans le rire libre d’un enfant, dans le chant de l’oiseau, dans la musique du vent, dans la myriade de feuilles-rhombes qui vivent à l’unisson.

 Solitude La solitude est un jardin que l’on cultive chaque jour, recueillement et présence à soi ; un exercice de familiarité avec son étrangeté première ; Dans le « Qui suis-je ? » c’est être debout dans ses épars, dans ses plis et replis, dans sa confusion, son chaos intéreur, c’est être quelque part où personne d’autre que toi, n’a droit de cité sondeur de tes profondeurs.

 Au fond de toi, il y un vide abyssal qu’il te faut combler par la parole, l’action, la relation à l’Autre au risque de te perdre.

 L’autre danger qui te guette est l’oubli de soi dans les gesticulations de ta vie, dans l’immersion dans l’écume de ce monde en fusion, monde au bord de l’asphyxie.

 Alors comment préserver ces moments salutaires de solitude, ces moments où ne t’épargnera pas le vertige du vide ? Chant profond Saetas flêches lancées de la foule pour invoquer Dieu le jour de Pâques, chant du sorcier, du chamane qui tourne autour du corps souffrant, chant de l’aède antique, du griot d’Afrique, chant du guerrier solitaire avant son dernier combat, chant polyphonique des femmes bulgares, chant, a capella des paysannes des Pouilles des Abruzzes, chant des esclaves noirs, des bagnards, chant que tu sauras faire vibrer du fond de ton être.

 Clowneries Mets les bouchées doubles, mets les pieds au mur, fissure ta façade, grime-toi le corps entier de couleurs criardes, agite les grelots de ta folie, fais de tes paroles, des bulles de savon, mets ton bonnet d’âne, regarde-toi dans un miroir et marre-toi ! Terre (chant) Ballet de libellules sous les ombrages, Clapotis de rivière qui méandre Broderie de chant d’oiseaux Herbes folles, buissons, taillis, Arbres altiers, arbres penchés, courbés par les vents Chemin boueux Chemin qui m’appelle.

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