Chouski MARICHAL

Mesdames et messieurs, votre attention s’il vous plaît.
C’est avec émotion que j’inaugure avec vous la réouverture de notre emblématique cathédrale, enfin restaurée après le terrible incendie qui, vous le savez, l’a ravagée il y a cinq ans. Les flammes ont achevé de noircir les murs ; les siècles avaient fait disparaître les couleurs flamboyantes. Ces couleurs qui, sachez-le, étaient au cœur de ce chef-d’œuvre de l’architecture gothique.
Laissez vos yeux caresser les courbes sous lesquelles se devinent les équations mathématiques (et donc divines) qui les sous-tendent. Nul n’ignore que les cathédrales sont des livres ouverts, offerts à qui veut les lire. C’est un langage universel qui traverse les siècles. Ces courbes vous invitent à suivre un chemin symbolique : le chemin de la Vie. Chacun de nous entre dans la vie au jour de sa naissance et en sort au jour de sa mort.
Entre la naissance et la mort, il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rencontres.
Recueillez-vous et accueillez ce qui vient.
La beauté, c’est la force qui s’exprime avec grâce. Alors laissez errer votre regard de bas en haut et de haut en bas, le long des lignes puissantes qui cristallisent la force du mouvement.
Prenez le temps. Prenez vraiment le temps de vous envoler jusqu’au sommet des voûtes élancées qui sculptent la pierre entre gothique primitif et gothique flamboyant. Redescendez le long des arcs-boutants, tournoyez avec le soleil dans les rosaces monumentales.
Ne cherchez rien, accueillez ce que vous trouvez. Ouvrez vos yeux, ouvrez vos oreilles au chant de la pierre, ouvrez votre cœur.
Du bas vers le haut, caressez du regard les piliers géants qui soutiennent la voûte nervurée. Et du haut vers le bas, suivez du doigt le fil de la pierre des colonnes qui s’ancrent dans le sol. Puis, enfin, enracinez-vous à votre tour dans les dalles de pierre.
Nous sommes les piliers de la Terre.
Redressez-vous et levez vos yeux vers la voûte, regardez le plus haut possible, laissez s’installer le vertige. Voyez cette pluie de couleurs dont chacune est à sa place. Laissez-vous inonder par la lumière du soleil transfiguré par les rosaces.Chaque forme a sa raison d’être et chaque courbe est comme dessinée par la nature elle-même.
C’est là le secret des cathédrales.
Je vous invite ensuite à entendre chanter les couleurs. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les couleurs vives que vous pouvez voir sur tous les murs restituent fidèlement les couleurs d’origine. Ce chantier collectif de restauration a été technique, bien sûr, mais surtout hautement symbolique, comme l’a été la construction elle-même il y a huit siècles. Déambulez, faites lentement le tour de notre emblématique cathédrale bien-aimée, et laissez les tableaux de chaque abside et absidiole, chaque chapelle, vous conter leurs histoires.
Nous connaissons ces histoires, c’est toute une culture. Et pourtant, elles sont autant de rencontres.
Apportons notre pierre à l’édifice.
Ces courbes de pierre tracent le chemin de vie ; la puissance se lit dans la mathématique de cet élan vers le Ciel, et ces couleurs sont les couleurs de la vie.
Mesdames et messieurs, je vous invite à porter votre regard avec respect, silence et gratitude sur les siècles qui ont porté jusqu’à nous chacune des pierres de cet édifice sacré. Le mouvement est inscrit dans chaque ligne.
Platon disait que tout est nombre. La couleur elle-même est nombre, et chaque couleur chante avec sa voisine. Tout n’est que vibration : contraste du noir et du blanc, harmonie des couleurs voisines dans l’arc-en-ciel.
Le langage qui est inscrit ici est universel, et c’est ainsi qu’il traverse — et traversera — le temps. Les couleurs des murs et les couleurs des vitraux se répondent comme les notes d’une symphonie jouée par les anges.
Nous sommes les couleurs de la vie.
Comment la pierre, venue du fond des âges, lourde, dense et compacte, peut-elle donner cette impression de légèreté ? C’est parce qu’elle imite la nature. La nature sait ce qu’elle fait, la nature sait où elle va. Spirales, Babel d’escaliers et d’arcades, le rouge du feu, le bleu de l’eau, le vert du végétal vivant, le violet du crépuscule…
Au fil des siècles, notre emblématique cathédrale était devenue noire.