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Un bien beau parc

Claude VUARCHEX

Un bien beau parc

Un parc. Grand. Beau. Verdoyant. Bien entretenu. Des bancs. Nombreux. Placés au bord des allées. Un kiosque, au milieu du parc. A l’intérieur du kiosque une table et des chaises. Dans ce parc, des arbres, beaux, majestueux, peut-être des cèdres, peut-être des tilleuls, qu’importe ?

La légère brume matinale s’est dissipée. Une belle journée s’annonce. Des couples sur certains bancs et deux bambins qui jouent avec un ballon dans l’herbe, au pied de l’un d’eux. Un couple sur un banc ; Un homme, d’âge mûr, parle à une jeune fille qui garde les yeux fixés au sol. Il la regarde et lui parle. Elle ne dit presque rien, elle garde les yeux fixés vers le sol.

La légère brume matinale s’est dissipée. Une belle journée s’annonce. Sur un autre banc, isolé, un homme, la quarantaine avancée. Il marmonne, se tordant les doigts. De temps à autre, il relève la tête, rajuste son bonnet blanc. Ses yeux légèrement bridés fixent un invisible interlocuteur à qui il répète « Dites-moi que ce n’est pas vrai… Dites-moi que ce n’est pas vrai… ». Puis il baisse la tête et marmonne, se tordant les doigts.

La légère brume matinale s’est dissipée. Une belle journée commence. Les allées de terre rouge se découpent dans l’herbe d’un vert tendre. Une femme, encore jeune, marche d’un pas décidé dans l’allée ; dans son monologue agité, elle ponctue certaines phrases de sa main fermée. La jeune femme marche d’un pas décidé ; elle ne voit personne ; elle agite sa main fermée, elle marche.

La légère brume matinale s’est dissipée. Une bien belle journée. L’homme sur le banc parle à la jeune fille ; elle ne dit rien, elle garde les yeux fixés vers le sol. Sur l’allée de terre rouge, la jeune femme marche d’un pas décidé. Le ballon vient rouler devant ses pieds ; elle ne le voit pas, elle ne voit personne ; elle parle et agite sa main fermée.

La brume matinale s’est dissipée. Le soleil filtre à travers les branches et éclaire la vigne vierge fournie qui recouvre les hauts murs d’enceinte du parc. Une bien belle journée. L’homme est parti ; la jeune fille est restée sur le banc et garde les yeux fixés vers le sol. Les arbres sont beaux ; ce doit être des cèdres.

Une bien belle journée. La femme assise près des enfants se lève, les enfants prennent leur ballon et tous trois embrassent l’homme. Ils se dirigent vers le portail, l’homme les accompagne. Il revient seul et se rassied sur le banc.

Le soleil joue dans les branches, le parc est magnifique. La jeune femme s’est arrêtée de marcher, sa conversation solitaire s’anime, sa main s’agite davantage. Elle repart d’un pas décidé. Elle ne voit personne. L’air est doux, une brise légère fait ondoyer les ramures. Une bien belle journée. L’homme se lève de son banc et se dirige calmement vers le bâtiment.

A l’intérieur, une grande salle et des chaises. Les murs sont peut-être bleu pâle ou peut-être couleur sable. Qu’importe ?

Dans la salle, des chaises. Certaines sont occupées. Des gens qui attendent.

Et puis… Des cartes. Une jeune fille. La jeune fille est captivée par ses cartes. Accroupie, ses cartes disposées sur deux chaises. Ses cartes éparpillées. Certaines cartes tombées à terre. Avec le cordon de sa veste, inlassablement, elle caresse chaque carte d’un geste latéral, répété. Elle est absorbée, souriante. Elle obstrue le passage. Peu importe, elle replace une carte à terre sur la chaise, avec les autres cartes. Elle déplace trois cartes pour les déposer à la place d’autres cartes. Puis avec le cordon de sa veste, inlassablement, elle caresse chaque carte d’un geste latéral, répété. Elle est absorbée, souriante. Des personnes veulent passer, peu importe ; elle est souriante. Près d’elle, une femme. La quarantaine passée. Assez jolie. Un air las. Elle aussi sourit ; légèrement ; son sourire est lointain, las.

Avec le cordon de sa veste, inlassablement, la jeune fille caresse chaque carte d’un geste latéral, répété. Elle est absorbée, souriante.

Venant des guichets, un nom est annoncé, tout fort. La femme se lève et se dirige vers un guichet ; la jeune fille n’a cure de ces allées et venues… A-t-elle remarqué des guichets ? Elle a ses cartes, elle a son lacet, elle est absorbée, souriante.

Après quelques minutes, la femme revient. Les cartes sont éparpillées sur les deux chaises ; certaines cartes sont tombées à terre. La jeune fille n’est plus là. La femme est très contrariée, balaie des yeux la grande salle et court vers la sortie. Elle crie plusieurs fois un nom et disparaît à son tour avant de revenir peu après. Elle est très inquiète et fouille à nouveau la salle du regard. Son visage se détend alors en apercevant la sortie ; un homme en blouse blanche vient vers elle, tenant par le bras la jeune fille.

Des cartes sur deux chaises, certaines cartes tombées à terre.

La jeune fille, réticente au début, suit ensuite docilement, indifférente. L’homme lui parle gentiment. La femme les rejoint et semble lui adresser des recommandations. La jeune fille regarde à terre, indifférente. Tous trois disparaissent par une porte donnant dans un couloir, l’homme et la femme parlant vivement, la jeune fille, indifférente, souriante.

Des cartes sur deux chaises, certaines cartes tombées à terre.

Un rayon de soleil caresse les bureaux où deux femmes s’affairent à leur ordinateur. L’une d’elles raccroche le téléphone, contourne les bureaux et sort. Elle cherche du regard, traverse le parc et se dirige vers l’homme au bonnet blanc. Elle se penche vers lui. L’homme ne lui prête aucune attention. « Mr Ferrand… Mr Ferrand ?… Mr Justin vous fait dire qu’il a un empêchement pour aujourd’hui, mais il essaiera de venir demain ». Après quelques secondes, la femme repart. L’homme rajuste son bonnet blanc. Ses yeux légèrement plissés fixent un invisible interlocuteur à qui il répète « Dites-moi que ce n’est pas vrai… Dites-moi que ce n’est pas vrai… ». Puis il baisse la tête et marmonne, se tordant les doigts. La femme est retournée à son bureau.

Par la grande baie vitrée, on peut voir le magnifique parc. Le soleil joue dans les branches qui ondoient paisiblement dans la brise tiède. Les allées rouges se découpent sur le vert tendre de la pelouse. Une bien belle journée.

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