Océane Martin
Je suis la voix. On, c’est le corps, c’est la personne qui m’incarne.
On est une femme que la vie semble étrangler, et qui a la rage d’exister.
On s’est sacrifié beaucoup, au profit de ceux qu’elle aime et qu’elle a aimés,
Moi, sa voix, je peine à cheminer. Elle me contient à l’intérieur. Elle me déguise, tout le temps.
On a l’habitude de se travestir. On s’est donné en pâture en haïssant en silence, on a aimé dans la honte.
On aurait dû pleurer l’abandon, on aurait dû crier la colère, le refus, l’humiliation et l’injustice. On n’aurait pas dû se déguiser.
En groupe, je tente de m’élever plus fort que toute les autres, mon corps me crie, me pousse de toutes ses forces pour me faire exister, mais ces boules de pleurs, tant de fois retenues, rendent mon passage jusqu’au monde, rude, me nouent, je mue.
Si les femmes ne muent soi-disant pas à l’adolescence, alors croyez-moi qu’elles muent toute leur vie, chaque fois qu’elles déguisent l’émotion de leur voix pour garder la face.
Ça sonne aussi faux qu’une mue d’adolescent, la voix d’une femme qui prend soin de boucher les brèches par lesquelles l’émotion voudrait passer.
On est une femme qui a endossé la responsabilité trop lourde de remplacer l’homme de leur vie, et à qui, durant toute sa vie de femme, on a reproché de ne pas avoir été à la hauteur de faire renaître ce père mort.
Moi, sa voix, je peine à cheminer. Elle me contient à l’intérieur. Elle me déguise, tout le temps.
Tant d’effort et de force pour me pousser et crier ma survie, pour ce résultat strident et pénible à l’oreille.
Le larynx de l’orpheline est le lieu où se battent le souffle de la mère et du père, éteint celui de la fille, qui peine à se faire entendre. Ce sont des souffles perdus, imaginaires, une compagnie nuisible qui se bat au-dedans pour sortir faux au dehors et masquer la vraie voix de cette femme qui porte ces souffles en elle.