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L’escalier

Dominique Danton-Rousset

J’entreprends l’ascension de l’escalier si abrupt, en ciment avec des marches sur lesquels mes pieds de taille 37 ne tiennent qu’en travers, escalier sans rampe où s’accrocher, qui me conduit vers la vieillesse, la maladie et la mort. Et si je le prenais à reculons pour me ramener vers la vie, non ! allez j’y vais.

Je revois ma petite mère, jeune, perchée sur des talons pour se grandir, trottinant vaille que vaille d’une démarche jamais ralentie par l’essoufflement, lorsque nous grimpions sur la colline de Bel Air jusqu’à la chapelle au sommet d’où nous savourions la vue sur la ville et le choco BN.

Et moi je me traîne pour grimper, comptant les marches, 18, 17, 16, reprenant mon souffle dans une petite pause, sentant les douleurs. Genoux, chevilles se réveillent mais pas dans la douceur.

Je me rappelle l’escalier en colimaçon de ma grand-mère paternelle où je me forçais à aller, où je devais monter trois étages de larges escaliers de pierre, souvent dans le noir, la lampe était souvent en panne. Et ce bonhomme, surgi de nulle part qui m’avait fait hurler de frayeur et s’était volatilisé plus effrayé que moi, sans doute à la recherche d’un refuge pour se mettre à l’abri.

J’atteins maintenant la 2ème série d’escalier et j’empoigne fermement la rampe de fer peinte en vert, rassurante par sa robustesse, escalier grimpant à flanc de coteau vers les hauteurs de la ville au milieu des feuillages le long des maisons. Je déteste cette sensation violente lorsque je monte un escalier, mon cœur bat trop vite comme s’il allait éclater, ça bouillonne trop fort à l’intérieur de moi, trop fort de vie, limite de mort.

Pourtant les descentes ne s’avèrent pas toujours plaisantes comme cette descente aux enfers lorsque la méchante sorcière m’annonça sereinement une tumeur cancéreuse au sein. Une descente brutale comme si j’avais débaroulé dans l’escalier, ça bouscule tout dans ma tête, la maladie associée à la mort, descente vertigineuse comme sur un toboggan géant qui m’emmènerait où, je n’en sais rien, perdus tous les points de repère, je me laisse glisser.

24, 23, 22, escalier que je franchis chaque semaine, un temps pour réfléchir ou une récréation quand je me laisse bercer par les odeurs de pelouse fraichement tondues, par le frémissement du vent dans les feuillages, par le chant des grillons, par les tulipes ou les roses me saluant comme une princesse, bouée de sauvetage pour ajuster mon masque de souriante, sans montrer ce mal au fond de moi de voir ma mère diminuer jour après jour, je lui donne le droit de mourir à 93 ans mais en restant la maman chérie de mes six ans.  

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