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Notes pour ma pierre

Maurice Naigeon

Moins qu’une pierre

Moins qu’une pierre et plus qu’un caillou, elle tient dans la main, avec des veines, comme un être humain.

 Échappée d’un volcan, érodée par un torrent, mais quand ?

Une pierre libre qui s’est fondue dans la nature et a échappé au triste sort de ses consœurs agglomérées dans des matériaux de construction.

Une pierre rugueuse, désagréable au toucher, avec des angles usés, d’une forme qui ignore les lignes de la géométrie.

A première vue, pas de traces de choc. N’a-t-elle jamais été cassée au cours des derniers millénaires ?

Une pierre orpheline, incapable de tuer un oiseau.

Pas assez plate donc pas bonne pour les ricochets.

On a beau la frotter contre une autre en espérant sentir une odeur de brûlé, elle n’exhale qu’une froideur minérale.

Une pierre taillée par la nature qui a effacé toute trace de taille.

Une pierre ni blanche ni grise, avec des nuances de bleu délavé, sans couleurs franches, elle ne peut pas servir à retrouver son chemin.

Une pierre anonyme, ne pas la laisser rejoindre un remblai sous peine de ne plus pouvoir la reconnaître.

Elle laisse une trace dans la main comme elle a marqué son empreinte dans la terre.

Il y a des millions d’années, elle faisait partie d’une étoile ; c’était une larme en fusion.

 Voilà son histoire terrestre : pendant des siècles elle se retranche sous la terre, puis pendant de longues années elle affleure au ras du sol, puis s’enfonce à nouveau puis renaît dans l’herbe mouillée, éclairée par le soleil.

Cette pierre a affronté la violence enragée des vents et sans une craquelure les secousses des tremblements de terre.

Elle a goûté la terre molle, l’humus puis le sable et la sécheresse des déserts.

Les animaux la reniflent. La présence humaine l’indiffère mais la rencontre ne serait pas à son avantage.

Cette pierre est une énigme. Une énigme ordinaire. Elle n’intéressera jamais un joaillier et pas non plus un tailleur de pierre.

C’est une pierre propre, sortie de la boue, lavée par la pluie et le torrents, séchée par les embruns.

Une pierre qui gît sur la grève, au milieu des restes d’un château de sable.

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