Claude VUARCHEX
La sonnette récalcitrait. Le lieutenant Pigeonneau, enveloppé dans sa gabardine froissée, attendit patiemment, adossé au pilier de l’entrée de marbre ; dame ! Il était chez le baron de Picousard, Le magnat du textile et de la lingerie !
D’un revers de main, il châtia une mouche insolente posée sur son denim. La porte s’ouvrit enfin, laissant place à un majordome hautain, quoique de petite taille ; son kilt pied de poule attira l’attention de l’inspecteur ; de ce kilt orné d’une fine dentelle au point d’Alençon, dépassait une sorte de jupon en mousseline vaporeuse.
- Lieutenant Pigeonneau ! finit-il par dire. Je suppose que les agents Tourteril et Ramiero sont déjà sur place, sinon je vais leur voler dans les plumes !…
- Si fait, lieutenant, entrez !
Le majordome s’effaça, impassible. Les deux policiers étaient en effet à leur poste ; la 1ère classe Tourteril se tenait accroupie sur le tapis ; les manches de son chemisier bleu retroussées, elle semblait faire fi du règlement et de son article 129 bis alinea 6 concernant la tenue des policiers en fonction. Son pantalon de soie serait très certainement à repasser ce soir. Elle poussait la délicatesse à laisser sortir une fine baptiste de la poche de sa veste bleue. Le brigadier-chef Ramiero était debout, et son accoutrement rappelait davantage des braies taillées dans du coutil que le pantalon réglementaire. Il tendit un sachet en plastique à son équipière, afin qu’elle y glissât le prélèvement.
Le costume Prince de Galles, objet de leur attention, était visiblement gâché et dorénavant immettable, percé qu’il était de deux trous. Le contenu du costume ne valait pas mieux… Le baron de Picousard avait perdu de sa superbe, baignant dans un liquide vaguement rouge sombre et coagulé depuis quelques heures déjà. Ses yeux grand ouverts semblaient enrobés de finette pelucheuse. Dans sa main gauche crispée, un voile de mariée que l’agent Tourteril avait immédiatement identifié comme étant une dentelle au point d’Angleterre.
Nul doute ! La piste se confirmait… Un tueur en série avait de nouveau frappé…
Dans la mémoire du lieutenant Pigeonneau, défilèrent les crimes précédents du textilial killer.
La septuagénaire, ex-représentante en linon pour lingerie à petits plis, retrouvée drapée dans un fourreau de satin couleur tango et sauvagement étranglée dans sa blouse dégravée dégrafée…
La richissime héritière Pettschild dont la robe en organdi rebrodée au point de poste présentait une boutonnière arrachée… et qui, malgré cet inconvénient, avait pu ramper jusqu’à la porte pour y inscrire de son sang « la finette ». Indice déjà déterminant…
Et encore plus que les autres meurtres, celui inhumain du Border Collie, étouffé dans un sac de toile de jute… la victime ayant eu, dans un dernier souffle, la force de glisser par un trou du sac, sa patte de velours !
C’en était trop pour le lieutenant Pigeonneau… Ce fut tout naturellement que ses soupçons se portèrent sur la dénommée Séraphinette, bonne du curé, au passé d’une irréprochabilité suspecte. Le lieutenant, après une fine enquête auprès des villageois, eut tôt fait de déceler que malgré des apparences très catholiques, elle avait une manière peu orthodoxe de faire circuler la corbeille pour la quête du dimanche. Malgré quatre jours de garde à vue, et un interrogatoire… très sévère –la violence n’est certes plus de mise, pourtant…- Séraphinette ne passa pas aux aveux, mais… fit une crise cardiaque. Certainement parce qu’elle avait beaucoup de choses à se reprocher, Pigeonneau l’avait bien ressenti…
Lorsque le surlendemain, l’on retrouva le garde-champêtre pieds et poings liés par des draps de lin et noyé dans son bidet, notre fin limier comprit tout de suite que Séraphinette devait avoir un complice…
Son attention se reporta alors sur le secrétaire de mairie qui avait l’étrange habitude d’arborer un large sourire en même temps qu’un blazer en velours côtelé de Gênes sur…. un léger pull-over en mohair ! Comment, en recroisant tous ces indices évidents, n’y avait-il pas pensé plus tôt ?
Il ne fallut à Pigeonneau que trois jours de garde à vue de ce sombre personnage pour faire éclater la vérité après un questionnement quelque peu musclé, certes.
Trois jours… qui poussèrent le fonctionnaire au suicide. L’affaire était donc résolue et classée avec ce coupable qui, au comble du remords, avait mis fin à ses jours en s’étouffant avec des taies d’oreiller assez raides et surtout en ingurgitant tout le papier de toilette –perte dommageable pour le commissariat, car le gros rouleau était prévu pour la semaine- laissé innocemment à disposition.
Mais voilà que l’affaire rebondissait avec ce nouveau meurtre ! Celui du baron de Picousard, l’homme au Prince de Galles ! Qui dit « un nouveau meurtre », dit « un autre complice » ! Pigeonneau avait eu le nez creux… Il avait pleinement conscience qu’il était en train de démanteler un véritable réseau, ce réseau ayant pour chef d’orchestre Séraphinette !… Laquelle avait laissé des consignes à ceux qui lui succéderaient ! Ah ! Ce n’était pas encore aujourd’hui que la perspicacité du lieutenant Pigeonneau serait prise en défaut !
En furetant chez la concierge de l’immeuble sis 13 rue des Colombes, soit 7 rues plus au nord-ouest, et jouxtant –comme par hasard- une librairie-papeterie, l’inspecteur découvrit dans une vieille commode dissimulée au fond du grenier… non seulement des napperons au point Richelieu, mais également –preuves irréfutables- de la toile à matelas et de la satinette veloutée !!!
Cette fois, les mailles du filet se refermaient sur le concierge qui ne pouvait plus nier… Il était pris la main dans le sac en doupion à petits nœuds ronds.
Le lieutenant Pigeonneau jubilait et pensait déjà à la nouvelle gabardine à rayures bayadères qu’il pourrait s’offrir grâce à un avancement inéluctable et ô combien mérité.
- Allo ?! Lieutenant Pigeonneau ? Lieutenant Pigeonneau !… Ici la 1ère classe Tourteril… On vient de nous signaler un odieux meurtre dans le nouveau magasin de fil d’Ecosse…