« Témoignage »

Pascale CHARCOSSET

Je viens de la ville de Myrelingues. Je me nomme Gersande de Nevors.

Le désastre de novembre 1305 m’a blessé l’épaule pour longtemps. J’étais en prière lorsque le mur a croulé, ses pierres, ses lierres, ses vipères, sa misère et tout son temps de gloire ont plongé en poussières aux pieds du Pape Clément V.

Les cloches sonnaient dans le vent du cortège, le fracas lourd a entrechoqué leur son, tout est devenu bruit de colline en cavale. Ma robe à pans de velours vermillon sillonnée de filaments de sang abritait les larmes des enfants égarés. Mes bras ne suffisaient pas à les encercler tous. Une pierre a brisé mon épaule évitant la tête brune d’un poupin qui pleurait la bouche grande ouverte. J’ai regardé ma main pantelante qui l’instant d’avant relevait les boucles de l’enfant brun. Assise de douleur, j’ai vu les morts piétinés, la tiare du Pape sur le sol du Gourguillon. Je n’entendais plus rien comme si la vision des morts m’ôtait les sons de l’horr‎eur. J’ai balbutié une prière dans l’éther des douleurs, nul écho ne franchissait mes lèvres. C’est alors que j’ai vu ma ville de naissance dans les yeux de l’enfant brun, j’ai vu son âge vieillir et sourire, j’ai entendu son chagrin sans son à l’intérieur de mes pupilles. J’étais sourde. L’enfant a cessé de pleurer, ses yeux sombres s’étonnaient de tant de visages en cris. Ses mains potelées serraient un cœur en bois de buis.

Avant de perdre conscience, j’ai guidé ma chute sur mon côté le plus doux. J’ai rêvé sans douleurs. Au milieu du fracas des hommes et des femmes perdus, j’ai soulevé les paupières. Les enfants éloignés dans des chemins méconnaissables se donnaient la main et formaient une frontière de vie.

J’ai cherché les boucles brunes, rien alentour, rien dans le lointain. En me hissant sur les éboulis le cœur en buis a glissé. Il logeait dans le pli de ma robe.

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